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par un passage de la Vie d’Ussum-Cassan, qu’il n’avait point encore fini cet ouvrage au mois d’août 1524, puisqu’il y dit, chapitre 23, que ce fut à cette même époque qu’on apprit la mort du Sophi. C’était cinquante et un ans après la bataille sur l’Euphrate, où Angiolello s’était trouvé. G-é.


ANGIVILLER (le comte Charles-Claude Labillarderie d’), directeur général des bâtiments du roi, jardins, manufactures et académies ; maréchal de camp, commandeur de l’ordre de St-Lazare et membre de l’académie des sciences, fut d’abord un des gentilshommes de la manche attachés à l’éducation des enfants de France, et se fit par là connaître de Louis XVI, qui eut toujours pour lui une grande prédilection et le consulta souvent sur les affaires de l’État, et même sur le choix de ses ministres. Turgot lui dut en grande partie son élévation. Ils étaient fort liés, et tous deux très-attachés à la secte des économistes, fondée par le docteur Quesnay. Le comte d’Angiviller obtint aussi pour lui-même un avancement rapide, et dès le commencement du règne de Louis XVI il fut nommé maître des requêtes, conseiller d’état, surintendant des bâtiments, l’une des plus belles places du royaume[1], et intendant du Jardin du roi en survivance de Buffon. Il se lia étroitement alors avec les ministres Vergennes et Galonné. Le comte d’Angiviller aimait beaucoup la société des artistes et des gens de lettres, et il fut notamment fort lié avec Ducis, qu’il avait logé auprès de lui, dans le Louvre. Sa femme se distingua aussi par le même zèle pour les sciences et les lettres (Voy. l’art. suivant). La direction du jardin du roi lui était confiée, et il usa toujours de son pouvoir dans l’intérêt des sciences et des arts. D’Angiviller se montra dès le commencement fort opposé a la révolution ; et, s’étant fait par là beaucoup d’ennemis, il ne trouva pas un défenseur dans ceux qu’il avait accueillis et protégés si longtemps, et que les événements venaient de rendre puissants. Charles Lameth l’ayant accusé, dans la séance du 7 novembre 1790, de multiplier les dépenses, et d’avoir présenté un compte de 20 millions fort exagéré, d’Angiviller, dans une réfutation qu’il envoya à l’assemblée, nia formellement ces assertions ; et l’affaire en resta là pour le moment. Mais le 15 juin 1791, sur le rapport de Camus, un décret ordonna la saisie de ses biens. Obligé de quitter la France, il se rendit en Allemagne, puis en Russie, où il obtint un traitement de l’impératrice Catherine II. Revenu en Allemagne, il y est mort en 1810 dans un couvent de moines. Il avait formé à grands frais un riche cabinet de minéralogie qu’il céda, en 1780, au cabinet d’histoire naturelle. Il écrivait a Delille : « M. de Buffon a enlevé mon cabinet… Je n’y ai pas de regret, et vous savez que je n’avais fait des sacrifices considérables que dans ce seul objet. » Il recommandait à Delille de ne point parler de cette cession, parce qu’il est inutile, disait-il, qu’elle soit connue. M-d j.


ANGIVILLER (E.-J. de Laborde, comtesse d’), qui avait épousé en premières noces M. Binet de Marchais, se fit remarquer a Versailles par le charme de son esprit, et surtout par celui de sa voix. Son goût pour le chant lui procura la faveur d’être admise, avec les personnages les plus graves de la cour, sur le théâtre des petits appartements, où la marquise de Pompadour, dès 1748, jouait et faisait jouer la comédie pour les plaisirs d’un roi déjà blasé et fort difficile à amuser. « C’est à elle, dit l’auteur de la Vie privée de Louis XV, qu’on doit ce goût scénique qui s’est emparé de toute la France, des princes, des grands, des bourgeois ; ; qui a pénétré jusque dans les couvents, etc. » Marmontel a consacré cinq pages du 5e livre de ses Mémoires à l’éloge de madame de Marchais qui épousa plus tard le comte d’Angiviller. Celui-ci était jeune, il réunissait à une belle figure le goût des lettres et des arts, un esprit cultivé, une grande fortune, la faveur du monarque et la confiance intime du dauphin. Et cependant voici, selon l’auteur des Contes moraux, dans quelle position cet homme aimable, et qui jouissait d’une considération si rare à son âge, se montrait en présence d’une femme qu’il aimait depuis quinze ans : « Inséparable de Madame de Marchais, mais triste, interdit devant elle, d’autant plus sérieux qu’elle était plus riante ; timide et tremblant à sa voix, lui dont le caractère avait de la fierté, de la force et de l’énergie ; troublé lorsqu’elle lui parlait, la regardant d’un air souffrant, lui répondant d’une voix faible, mal assurée et presque éteinte… Si ce personnage d’amant malheureux n’eût duré que peu de temps, on l’aurait cru joué ; mais plus de quinze ans de suite il a été le même. » Enfin le comte épousa celle qu’il avait tant et si longtemps aimée. Quelques autres traits de l’éloge fait par Marmontel, quoique visiblement exagérés, méritent d’être recueillis. « Elle n’était pas seulement, dit-il, la plus spirituelle et la plus aimable des femmes, mais la meilleure et la plus essentielle des amies, la plus active, la plus constante. Imaginez-vous tous les charmes du caractère, de l’esprit, du langage, réunis au plus haut degré, et même ceux de la figure, quoiqu’elle ne fût pas jolie ; surtout dans ses manières une grâce pleine d’attrait : telle était cette jeune fée. » Marmontel continue encore longtemps ce magnifique éloge, il loue la taille de son amie dans sa petitesse, son maintien imposant, ses connaissances variées, étendues, depuis la plus légère et brillante littérature jusqu’aux plus hautes conceptions du génie ; la netteté, la finesse, la justesse et la rapidité de ses idées, sa conversation brillante par un choix d’expressions toujours heureuses, sa bonté intarissable, etc., etc. Il nous apprend que sa société était composée de tout ce que la cour avait de plus aimable et la littérature de plus distingué ; Buffon. Thomas, Laharpe, Ducis, l’abbé Maury, s’honoraient,

  1. Beffroy de Reigny, si burlesquement connu sous le nom de cousin Jacques, dit, dans son Dictionnaire néologioque, en parlant de cette place : C’était un comité d’instruction publique tout entier. « Le roi, dit Laharpe, dans sa Correspondance littéraire, commande tous les ans quatre statues de nos plus grands hommes, mais le comte d’Angiviller, ne choisit pas toujours bien. » Laharpe était alors philosophe, et le comte d’Angiviller avait choisi Bossuet, Fénélon, Pascal, etc.