Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 11.djvu/545

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science du droit français ancien et modernes, et a très-zélé pour sa patrie, l’a solidement prouvé u par des raisons et des exemples, dans le commentaire qu’il a fait sur cet édit. » En respectant l’autorité spirituelle du pape, il n’épargna pas les prérogatives que les fausses décréta les avaient introduites, et que les véritables avaient encore étendues. Ce fut un grand trait de lumière, dans un temps où ces matières n’étaient pas encore autant éclaircies qu’elles l’ont été dans la suite. Le pape lui-même en fut tellement déconcerté, qu’il devint plus docile aux propositions pacifiques du roi. C’est à cette occasion qu’Anne de Montmorenci, alors maréchal, ensuite connétable de France, dit au roi, en lui présentant Dumoulin : Sire, ce que Votre Majesté n’a pu faire avec 30 000 hommes, ce petit homme (Dumoulin était d’une petite taille) l’a achevé avec un petit livre. La cour de Rome n’a jamais pardonné à Dumoulin le tort que son commentaire lui avait fait ; elle n’a rien oublié pour flétrir sa mémoire. Clément VIII condamna ses ouvrages à être brûlés. Ils furent mis à l’index au premier rang des livres défendus. Dans les permissions de lire les ouvrages qui y sont placés, on exceptait toujours ceux de Machiavel et de l’impie Dumoulin ; c’est ainsi qu’on le qualifiait. Ceux qui, dans les pays où les défenses de ce genre sont respectées, ont voulu profiter des lumières que renferment ses écrits de jurisprudence, les ont fait réimprimer sous le nom supposé de Gaspar Caballinus de Cingulo. Ce n’est qu’à la faveur de ce déguisement qu’il est permis de le citer. En France, quoique le commentaire de Dumoulin fût dédié au roi, et imprimé avec privilège, il ne le rendit pas moins odieux à quelques Français, qui avaient alors tout le pouvoir, et qui, suivant de Thou, étaient plus portés pour les intérêts de Rome que pour les droits du royaume : l’autorité du parlement put à peine le soustraire aux persécutions qu’ils lui suscitèrent. N’ayant pu le perdre légalement, on l’attaqua par la violence ; sa maison fut pillée et sa vie en danger : il ne la sauva qu’en cherchant un asile en Allemagne, où il fut très-bien accueilli. Il séjourna quelque temps à Tübingen, où l’on accourait de toutes parts pour prendre ses avis ou assister à ses leçons. Ayant obtenu la permission de rentrer en France, par le crédit de ses protecteurs et de ses amis, il pensa à y retourner. Il s’arrêta, chemin faisant, à Strasbourg, à Dôle, à Besançon, où l’on montra autant d’empressement à l’entendre, que l’on avait fait en Allemagne. Il donna a Montbelliard une preuve de la fermeté de son caractère. Le duc, qui l’y avait attiré, voulut lui faire signer une consultation contraire il son opinion. Il aima mieux subir trois mois de prison que de mentir à sa conscience. Il ne recouvra sa liberté que par l’adresse de sa femme, qu’il eut le malheur de perdre quelque temps après : il s’en consola en en épousant une autre. À peine rentré à Paris, où il avait repris ses occupations habituelles, les troubles de religion qui s’élevèrent dans cette ville l’obligèrent de la quitter encore, après avoir vu sa maison pillée une seconde fois. Il se retira à Orléans, ensuite à Lyon, où il fut emprisonné sur la dénonciation des ministres calvinistes. Lorsqu’il eut été élargi, il revint à Paris, où de nouveaux orages l’attendaient. Les jésuites, dont la société naissante fixait déjà l’attention publique, demandaient de pouvoir y établir un collége. L’université s’y opposa. Dumoulin justifia cette opposition dans une consultation qui n’empêcha pas l’université de perdre sa cause. Les jésuites, protégés par le chancelier de l’Hôpital, l’emportèrent. Ce qui détermina le parlement, au rapport du président de Thou, de les admettre dans l’instruction publique, c’est qu’on regarda l’éducation qu’ils ouïraient à la jeunesse comme un préservatif certain contre les nouvelles erreurs. La consultation de Dumoulin réveilla la haine de ses ennemis, qu’une affaire plus sérieuse fit bientôt éclater. Le concile de Trente venait enfin d’être terminé ; les ambassadeurs du pape et des princes les plus puissants de l’Europe pressaient le roi de le faire publier en France. Les membres les plus influents du conseil du roi n’étaient pas de cet avis ; ils craignaient de ressusciter par la les dissensions civiles, qu’on avait eu tant de peine à assoupir pour quelques instants ; et d’ailleurs plusieurs décrets du concile contenaient des règlements contraires à nos libertés et même à l’autorité royale qu’ils ne pouvaient approuver. Dans un conseil tenu à Fontainebleau, le 27 de février 1564, il y eut à ce sujet une.altercation très-vive entre le chancelier de l’Hôpital et le cardinal de Lorraine, il fut décidé que le concile de Trente ne serait pas publié. Dumoulin, sollicité d’appuyer de son avis la décision du conseil, publia son Conseil sur le fait du Concile de Trente, Lyon, 156¿, in-8°. C’est une consultation en cent articles, dans laquelle il examinait en détail les décrets du concile, cherchait de faire voir, par plusieurs raisons, qu’il était nul, qu’il y avait eu des défauts dans la publication, qu’il avait été tenu et fini contre les décrets des anciens Pères et contre la liberté du royaume de France. Il ne ménageait pas les expressions, étant naturellement porté aux sarcasmes et aux injures, comme tous les écrivains de ce temps. Il appelle la réformation faite par le concile une vraie déformation. Les ennemis de Dumoulin avaient là une trop belle occasion de lui nuire pour la laisser échapper. ils l’accusèrent d’avoir voulu exciter une sédition et troubler la tranquillité publique : ils firent tant de bruit, que ceux mêmes qui l’avaient engagé à publier sa consultation, l’abandonnèrent. Le parlement, malgré l’estime qu’il avait pour lui, se vit forcé de le faire arrêter. Il ne recouvra sa liberté, qu’à condition qu’il ne pourrait plus rien faire imprimer qu’avec la permission du roi. À peine Dumoulin avait obtenu quelque relâche de la part des catholiques, qu’il déclara lui-même la guerre aux calvinistes, qui n’étaient pas les moins dangereux de ses adversaires. Depuis qu’il les avait