Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 11.djvu/551

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main, la prise des îles de Jersey, de Guernesey, de Whigt, etc. La paix de 1783, qui vint mettre un terme à l’essor de son imagination, ne fut pas sans doute pour lui un événement heureux. Il s’était toujours flatté qu’on l’emploierait avec plus d’éclat dans les opérations de la guerre ; et il n’était encore que colonel! ll fut nommé brigadier en 1787, et conserva le gouvernement de Cherbourg ; mais rien de tout cela ne pouvait suffire à son besoin de mouvement et de fortune. Frappant à la porte de tous les ministres, il écrivit à celui des affaires étrangères qu’une pension de 12 000 fr. lui était due par ce département ; et il demanda en même temps le titre d’ambassadeur à la cour de Saxe. Le ministre répondit par un refus assez sec : et il fallut se résigner à rester gouverneur de Cherbourg, avec le grade de maréchal de camp, qui lui fut accordé en 1788 ; ce qui porta son traitement à 20 000 fr. C’était alors un font beau revenu ; mais il ne lui suffisait pas : il avait beaucoup de dettes, et les ministres refusaient de les payer. Ainsi Dumouriez était mécontent lorsque survint la révolution, et il devait en embrasser la cause avec toute l’ardeur de son caractère. Après s’être inutilement recommandé aux électeurs dans une brochure intitulée Cahiers d’un bailliage qui n’enverra point de députés aux états généraux (1793, in-8°), il se montra, dans plusieurs occasions, fort disposé à favoriser l’insurrection en Normandie, et réussit à se faire donner le commandement de la garde nationale de Cherbourg. Lorsque les ducs d’Harcourt et de Beuvron, qui commandaient dans cette province, eurent été forcés par l’insurrection de s’en éloigner, il y resta à peu près le maître de tous les pouvoirs. On l’a accusé d’y avoir favorisé le désordre pour se populariser. Cependant, vers cette époque, il fit condamner et exécuter, par une espèce de commission que lui-même avait créée, deux chefs de révolte et de pillage, et plusieurs de leurs complices furent envoyés aux galères, par un arrêt de la même commission. Comme tant d’autres révolutionnaires de ce temps-là, Dumouriez voulait bien acquérir, par un changement dans l’État, de la fortune et du pouvoir ; mais pour jouir de tout cela il ne fallait ni désordre ni pillage : voilà ce qui explique beaucoup d’opinions et de contradictions du même genre. Au reste, il se trouva bientôt à l’étroit dans la province de Normandie. Pressé d’agir sur un plus grand théâtre, il profita de la suppression des gouvernements, pour se rendre dans la capitale, et il s’y lia aussitôt avec la plupart des hommes influents de la révolution, tels que Lafayette, Mirabeau, Barrère. Il se montra surtout fort assidu à la société des jacobins, qui ne faisait que de naître, et qui déjà s’était placée au-dessus de tous les pouvoirs. En même temps il envoyait, selon son ancien usage, à tous les ministres, à tous les gens en crédit, des plans, des observations sur la paix, sur la guerre, sur la garde nationale, sur les biens du clergé, etc., etc. Il remplit encore il cette époque, de la part des meneurs, une mission d’observation dans la Belgique, où il avait été question de faire nommer roi le duc d’Orléans. Dumouriez fut chargé de voir s’il serait possible de tirer parti de cette révolution, qui finissait, au profit de celle qui, en France, venait de commencer. Il a prétendu dans ses Mémoires que dès le premier jour, il lui fut démontré qu’il n’y avait aucune analogie, aucune ressemblance dans le but et dans les moyens de ces deux événements ; que la puissance autrichienne allait d’ailleurs bientôt triompher des Belges, et qu’ainsi il n’y avait rien à en espérer. Mais il n’a pas tenu tout à fait le même langage dans une brochure intitulée le Guide des nations, ou Correspondance politique et morale sur la France et les Pays-Bas, qu’il fit imprimer chez Gorsas à son retour à Paris. Là Dumouriez ne parlait pas des Belges et de leur révolution avec autant de mépris ; et si l’on pense d’ailleurs à tout ce qu’il fit depuis pour leur plaire, à son projet de les conquérir et de les soumettre, qui était devenu chez lui une espèce d’idée fixe, il sera bien permis de croire à des vues cachées, à quelque but personnel, et qui, certes, ne pouvait être atteint que par le triomphe de la cause révolutionnaire. Mais, comme pour l’instant la puissance autrichienne comprimait le mouvement, de telles vues ne devaient appartenir qu’à un avenir très-lointain ; et les affaires de la révolution marchaient alors si vite en France, que Dumouriez ne pouvait guère s’occuper d’autre chose. À cette époque ses rapports avec Mirabeau devinrent très-fréquents ; et il faut avouer que ces deux hommes étaient bien faits pour s’entendre. Tous les deux, génies supérieurs, placés à la tête d’une révolution démocratique, beaucoup moins par conviction que par calcul, rompus l’un et l’autre à toutes les intrigues, à toutes les ruses de la diplomatie, ils devaient, en se réunissant, avoir sur les événements une influence décisive : mais le grand orateur mourut, et avec lui tous les plans de restauration qu’il avait conçus, et auxquels il n’eût pas manqué d’associer Dumouriez. Après cette mort, qui, dans de pareilles circonstances, fut sans doute un événement funeste, Dumouriez se retrouva placé au milieu de la foule des médiocrités qui s’agitaient dans le tourbillon révolutionnaire. Voulant au moins conserver l’influence de son grade, il demanda de l’emploi ; et l’on fut sur le point de lui donner le commandement de Lyon : mais Louis XVI, qui avait encore quelque velléité de pouvoir, s’y refusa positivement, parce que cette nomination semblait lui être imposée par les jacobins. Il fallut se contenter du commandement de Nantes. Le premier soin de Dumouriez, en arrivant dans cette ville, fut d’aller au club et d’y mener tous les officiers de la garnison. Lorsqu’on apprit le départ du roi pour Varennes, il se hâta d’adresser à deux députés de ses amis, Vieillard et Barrère, une lettre qui fut lue à l’assemblée, et par laquelle il annonçait le projet de marcher à son secours avec toutes les forces qu’il pourrait réunir. On sent combien