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des secrétaires, disant qu’il ne porterait désormais qu’une croix de bois : mais il ne porta plus ni croix de bois ni croix d’or, puisqu’il renonça bientôt publiquement à la dignité épiscopale. Élu de nouveau député à la convention par le même département, Gay-Vernon s’exprima en ces termes dans le procès du roi : « Louis a mérité la mort, je vote pour la mort. » Il s’opposa ensuite à l’appel au peuple et se prononça contre tout sursis à l’exécution. Dans la crise du 31 mai, il se montra l’un des ennemis les plus prononcés du parti girondin, et dénonça plusieurs députés de son département comme ayant professé des opinions contraires à la révolution. Le 7 novembre 1795, lors de l’apostasie de Gobel et des autres constitutionnels au dedans et au dehors de l’assemblée, Gay-Vernon écrivit à la Convention une lettre où il déclarait qu’il avait soupiré après le moment actuel et qu’il obéissait à la voix de la raison, de la philosophie et de la liberté. On a dit qu’il écrivit dans son département des lettres contre la religion. Depuis ce temps, siégeant toujours à la crête de la montagne, il parut rarement à la tribune jusqu’à la chute de Robespierre ; et même alors il ne renonça point encore à l’exagération de ses opinions, car il essaya de défendre Carrier, non-seulement au club des Jacobins, mais dans l’assemblée ; et assez longtemps après cette époque, devenu membre du conseil des cinq cents par la réélection des deux tiers des conventionnels, il persista dans son système et attaqua avec la plus grande violence les députés frappés par la révolution du 18 fructidor. On l’entendit repousser avec dureté une pétition de madame Paradis, qui implorait l’indulgence de l’assemblée en faveur de son mari compris dans la proscription. Il fut ensuite le rapporteur d’un projet contre la classe entière des ci-devant nobles : « C’est, dit-il, dans la notoriété publique et dans une suite non interrompue de conspirations de leur part, pour relever le tronc et accabler la nation, que la commission a puisé les motifs du projet qu’elle présente et qui les exclut de toutes fonctions publiques jusqu’à quatre ans après la « paix générale. » Ce projet qui eût éconduit beaucoup de généraux et de grands personnages, entre autres le directeur Barras, fut ajourné indéfiniment. Gay-Vernon sortit du conseil en 1798 : il fut nommé consul à Tripoli, ne s’y rendit pas, et alla remplir la place de secrétaire du consulat révolutionnaire momentanément établi à Rome, place qu’avait occupée avant lui un prêtre nommé Bassal. Cependant il ne se comporta pas dans ces fonctions au gré du directoire, qui empêcha son admission au conseil des cinq-cents, où il venait d’être réélu par le parti des anarchistes, en lui appliquant les dispositions de la loi du 22 floréal, et le déclara ensuite déchu du titre de citoyen français, comme étant devenu romain en exerçant les fonctions de secrétaire du consulat de la nouvelle république. Gay-Vernon réclama avec succès contre la sévérité du directoire lors de la décomposition de ce pouvoir après la crise de prairial (19 juin 1799) ; il abdiqua la dignité romaine pour redevenir Français et fut nommé par le nouveau directoire commissaire général près l’administration départementale de la Somme. À cette époque, quelques personnes pieuses d’Abbeville ayant cru pouvoir rendre un hommage public à la mémoire de Pie VI, le commissaire Gay-Vernon écrivit ainsi sur ce fait aux municipaux de cette ville : « Il est donc bien constant que l’acte le plus incroyable, le plus absurde, le plus contre-révolutionnaire et le plus immoral, vient d’avoir lieu dans l’enceinte de vos murs. Quoi ! on a dressé un catafalque devant un autel, célébré une fête funèbre en mémoire « de l’assassin de Bassville, de Duphot et de tant de Français ! Cet impie qu’on nomme Pie VI et que Rome même avilie méprisait, s’est ligué avec les barbares du Nord et de l’Orient, c’est-à-dire avec ce qu’il appelait le schisme, l’hérésie et le paganisme pour réasservir le monde, le plonger dans les ténèbres de l’ignorance et anéantir toutes les idée : libérales. Cet impie qu’entouraient tous les vices personnifiés et qu’une crapule honteuse déshonorait, a couvert notre patrie de sang et de carnage. Il a fait prêcher au nom de Dieu, par ses émissaires répandus partout, le meurtre et l’assassinat des hommes libres et vertueux ; et c’est à la mémoire de cet ennemi du nom français, de la raison et des vertus qu’on a osé rendre des hommages publics, etc. » Gay-Vernon donna sa démission aussitôt après le 18 brumaire, ne voulant pas servir le tyran Bonaparte, qui ne l’aurait certainement pas employé. Il vécut depuis dans l’obscurité et fut néanmoins compris dans l’exil prononcé contre les régicides en 1816, ayant signé l’acte additionnel. Il se réfugia alors dans la Belgique d’où il revint en 1819, par la faveur du ministère de Louis XVIII. Depuis cette époque il vécut retiré dans sa terre de Vernon près de Limoges, persévérant dans ses erreurs. Cependant, par une bizarrerie qu’il est difficile d’expliquer, il assistait souvent à la messe dans les derniers temps de sa vie, et il allait quelquefois visiter les pauvres, leur portant des secours. On dit même qu’il écrivit alors à une de ses nièces des lettres fort pieuses. Trompé par de telles démonstrations, le curé de sa paroisse se rendit chez lui dans ses derniers moments ; mais ce fut en vain qu’il essaya de l’amener à une fin chrétienne. Gay-Vernon mourut le 20 octobre 1822. Sa famille, prévoyant qu’en conséquence du refus qu’il avait fait des derniers secours de la religion, le corps ne serait point reçu l’église, évita de l’y présenter et le fit enterrer sans aucune cérémonie. — Un de ses frères (Jacques), avec lequel on l’a quelquefois confondu, était aussi curé ; il abjura également ce caractère en 1795 et se maria.


GAY-VERNON (Joseph), général, frère du pré-