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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 17.djvu/592

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Grolman que le public regarda comme le véritable auteur de cette mesure : on avait raison. Sa conduite en cette occasion fut amèrement critiquée par beaucoup de personnes. Quelques-unes lui reprochaient d’avoir rendu inutiles, d’avoir frappé de stérilité, en prenant ce parti, les dépenses considérables faites par le passé pour l’organisation de la Landwehr. Grolman répondait que ces énormes dépenses étaient déjà improductives, et, sauf le cas de guerre, ne produiraient pas plus, lors même qu’on les prolongerait pendant des siècles ; qu’envisager résolument leur inutilité, revenir des illusions qu’on s’était faites, et se résigner au sacrifice des déboursés antérieurs était sagesse et gain, puisqu’on évitait ainsi d’accroître une perte déjà trop forte. Le fond de ’tout cela, c’est que le ministre, ainsi que son maître, avait un peu de cette antipathie commune à tous les gouvernants pour tout ce qui donne à la nation, à la moyenne bourgeoisie une force indépendante, et qu’il s’en défiait. D’ailleurs les grandes puissances dirigeantes de l’Allemagne voyaient encore plus à contre-cœur le développement des principes constitutionnels, non-seulement parce que leur tendance est de restreindre l’omnipotence monarchique, mais aussi et plus encore parce qu’ils établissent une fraternité de pensées, de régimes entre l’ambitieuse France, si prompte parfois à profiter de l’occasion, et ces petits États du Rhin qui, groupés si souvent autour d’elle, lui ont servi de tête de pont contre l’Allemagne. Ces puissances avaient les yeux fixés sur Hesse-Darmstadt, et lors même que Grolman eût eu un vif désir de réaliser dans le grand-duché le programme libéral, elles ne l’eussent point permis de prime abord. Mais il s’en fallait de beaucoup que le ministre en fût là, et la diplomatie n’eut point de peine à obtenir son concert pour la mystification solennelle du pays. Tout en prononçant les mots magnifiques de constitution, intervention de la nation dans la confection des lois, pondération des pouvoirs, il tenait surtout d’abord au portefeuille, puis, une fois nanti du portefeuille, à mettre le moins possible le pouvoir en tutelle, en d’autres termes à laisser le ministre ou le prince seul maître. C’est ce que fit voir son édit du 18 mars 1820, par lequel il convoqua les états, en annonçant quels droits, quelles attributions le grand-duc voulait octroyer à ces représentants de Hesse-Darmstadt. Suivant cet acte, les états auraient borné leur activité à transmettre des pétitions au ministère et à examiner les recettes et les dépenses, pour émettre ensuite un vote qui eût été un simple conseil, un parère dont le gouvernement du prince eût pu ne pas tenir compte. Ils n’auraient donc point eu de puissance législative ; le système voulu par la cour de Hesse n’eût pas même été une ombre du gouvernement représentatif ; et indubitablement le pays suivant l’ancien régime avait joui de plus de droits et de garanties que n’en offrait le nouvel acte. En dépit des grands mots de l’édit et de l’affectation que mit le ministre à calquer la Grande-Bretagne et la France, en divisant les états en deux chambres, ou peut-être à cause de cette affectation même, l’opinion déjà hostile au pouvoir ne se méprit pas sur ses intentions ; et bien que Grolman agît de son mieux sur les élections, il ne réussit point à engendrer une deuxième chambre selon son cœur. Cinquante membres devaient la composer et se trouver réunis à Darmstadt le 17 juin. À peine trente-cinq d’entre eux, qui se montrèrent ponctuels, se furent-ils vus vingt-quatre heures, qu’un acte décisif manifesta combien était profonde la dissidence entre le gouvernement et les députés. Une déclaration, au bas de laquelle se lisaient trente-et-une signatures, notifia au prince que l’édit du 18 mars ne répondait en rien aux vœux et aux besoins du pays ; que, préalablement a l’ouverture de la session, il fallait aux sujets de Hesse-Darmstadt une constitution en harmonie avec l’état actuel des choses ; que, pour eux députés, ils ne pouvaient, sans blesser leur conscience, prêter le serment que l’édit demandait aux représentants, et qu’ils se regardaient en conséquence comme suspendus de leurs fonctions jusqu’à ce que le pouvoir obtempérât la leurs remontrances. Grolman tint bon, les députés aussi, sauf trois, et le lendemain vingt-huit membres, formant plus que la majorité de la deuxième chambre, déclarèrent au ministère qu’ils allaient remettre leurs pouvoirs aux mains de leurs commettants, et retournèrent presque tous chez eux. Force fut au ministre de faire quelques concessions. Une minorité de vingt-trois membres (dont deux ou trois avaient signé les déclarations précédentes) en fit paraître une autre qui, tout en qualifiant l’édit du 18 mars d’insuffisant, le tolérait pourtant à titre de provisoire, et conseillait le serment, vu l’assurance d’obtenir les réformes exigées par la voix publique, et à condition qu’au préalable le ministère s’expliquerait sur ses intentions. Il fallut que Grolman donnât les déclarations voulues (les 22 et 25 juin), et même ainsi il eut de la peine à rallier les quelques voix nécessaires pour commencer la session ; il n’en réunit que vingt-sept ; deux malades ou deux infidèles auraient encore fait reculer l’ouverture si longtemps retardée. C’est sous ces auspices que commença la session, où, après une assez longue lutte, les Darmstadtiens obtinrent une constitution basée sur la charte française, et reconnaissant en principe l’égalité de tous devant la loi, la liberté des personnes, des opinions et des croyances religieuses, l’inviolabilité des propriétés, l’indépendance des tribunaux, l’obligation et les chances de service militaire égales’ pour tous, la participation des sujets à la puissance législative, etc. Les absolutistes, dont Grolman avait conquis les suffrages au commencement de l’année, l’accusèrent alors, les uns de faiblesse, les autres de jacobinisme et d’hypocrisie ; il n’en