Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 18.djvu/237

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charité et en fondations pieuses. Ce fut elle qui vendit à Louis XIV le palais d’Orléans, aujourd’hui le Luxembourg. Elle mourut le 17 mars 1696, âgée d’un peu plus de 40 ans. Son Oraison funèbre fut prononcée à Paris par Maréchau, chanoine de l’église de Chartres ; à Notre-Dame d’Alençon, par le P. de la Noë, jésuite, et à l’hôpital de la même ville, par le P. Dorothée de Mortagne, capucin. Ces trois pièces ont été imprimées ; la première in-4o, et les deux autres in-12. W-s.

GUISE (Henri de Lorraine II, duc de), quatrième fils de Charles de Lorraine, duc de Guise, naquit en 1614. Il fut d’abord destiné à l’église, et recueillit cette espèce de succession qui conservait depuis longtemps dans la maison de Guise l’archevêché de Reims et les plus riches abbayes du royaume. Devenu l’aîné de la famille par la mort de son frère, il réunit pendant quelque temps en sa personne les dignités de l’Église aux grandeurs du siècle. Il était bien fait, plein de grâce et d’adresse dans tous les exercices du corps, doué de beaucoup d’esprit et de courage, et fut l’un des hommes les plus galants de son siècle. Soit dépit de se voir traversé dans ses amours avec Anne de Mantoue par le cardinal de Richelieu, qui redoutait leur union, soit envie de jouer un rôle comme ses ancêtres, il se jeta dans le parti du comte de Soissons, et entra dans cette ligue fameuse qui prit le nom spécieux de Ligue confédérée pour la paix universelle de la chrétienté. La princesse alla le joindre à Cologne ; mais ne voulant pas qu’elle fût exposée aux hasards de la révolte, il la fit retourner à Paris. Pendant qu’on le condamnait dans sa patrie à avoir la tête tranchée, il se rendit à Bruxelles pour commander les troupes confédérées de la maison d’Autriche contre la France. C’est là qu’il unit son sort à celui d’Honorée de Berghes, veuve du comte de Bossut ; mais ayant fait sa paix avec la cour en 1643, il revint en France, et oublia sa nouvelle épouse, avec laquelle son mariage fut déclaré nul en 1650. Il était à Rome en 1647 pour obtenir la déclaration qu’il demandait, afin de pouvoir épouser mademoiselle de Pons, lorsque les Napolitains, révoltés contre l’Espagne (voy. Masaniello), l’élurent pour leur chef, et lui donnèrent le titre de généralissime de leur armée. Brave, entreprenant, né pour les aventures, pouvant d’ailleurs faire valoir d’anciennes prétentions sur ce royaume, du chef de René d’Anjou, qui en 1420 avait épousé Isabelle de Lorraine ; enfin approuvé, sinon appuyé, par la cour de France, d’où l’on n’était pas fâché d’éloigner un homme qui portait ce grand nom de Guise, si redoutable soixante ans auparavant, le jeune prince s’embarque sur une simple felouque, passe témérairement au travers de l’armée navale de don Juan, saisit les rênes du gouvernement, défait les troupes espagnoles, et se rend maître de la campagne. Il gagna tous les cœurs par son adresse, sa douceur et son affabilité[1]. Mais son peu de circonspection dans ses galanteries, dont les objets n’étaient pas toujours d’un rang digne du sien, causa des jalousies et des mécontentements parmi les nobles. Ses ennemis, profitant d’une sortie qu’il faisait pour introduire un convoi dans Naples, livrèrent la ville aux Espagnols. Ses efforts répétés pour y rentrer furent inutiles. Après s’être défendu comme un lion, il n’en fut pas moins emmené prisonnier à Madrid. Le grand Condé, qui servait alors les ennemis de sa patrie, demanda que Guise fût remis en liberté, dans l’espérance qu’il fomenterait les troubles de France. Mais les mauvais traitements que le duc avait éprouvés de la part des Espagnols laissaient dans son esprit des impressions qui lui firent oublier la promesse qu’on lui avait arrachée. Il tenta encore en 1654 de reconquérir le royaume de Naples, soutenu par une flotte française : ce fut sans aucun succès. Alors il vint à Paris se dédommager de la perte de sa couronne. En 1655, il fut pourvu de la place de grand chambellan de France. Il parut au fameux carrousel de 1663, à la tête du quadrille des sauvages américains, tandis que le grand Condé était chef des Turcs. En voyant ces deux hommes, on disait : « Voilà les héros de l’histoire et de la fable. » Le duc de Guise ressemblait effectivement beaucoup à un personnage de la mythologie, ou bien à un aventurier des siècles de chevalerie. Ses duels, ses amours romanesques, ses profusions, les diverses particularités de sa vie, le rendaient singulier en tout. Il mourut en 1664 sans laisser d’enfants. Ses frères n’en laissèrent pas non plus, et ses sœurs ne furent jamais mariées. Nous avons les mémoires du duc de Guise, pendant la révolte de Naples, en 1647, écrits de deux mains différentes, et dans des intentions bien contraires. Ces deux ouvrages parurent peu de temps après la mort du héros. Le premier a pour auteur le comte Raymond de Modène, d’Avignon, qui avait suivi Guise à Naples, et qui avait partagé avec lui le sort des combats ; mais ils se brouillèrent ; Modène, apparemment pour sa justification personnelle, révéla quelques-uns des défauts de caractère et signala plusieurs des fautes de son chef. Son livre parut en 1667, sous le titre d’Histoire des révolutions de la ville de Naples. L’année suivante, Sainctyon, ancien secrétaire du duc de Guise, opposa au comte de Modène des Mémoires de M. le duc de Guise, contenant son entreprise sur le royaume de Naples, jusqu’à sa prison, Paris, 1668, in-4o, et 1681, in-12. Ils ont été traduits en anglais, Londres,

  1. On conserve encore quelques monnaies qu’il fit frapper pendant ce règne éphémère. La première porte Henriens de Lorena, dux reipublicæ Neapolitanæ ; au milieu, dans un cartouche couronné, S. P. Q. N. (Senatus populusque Neapolitanus) ; au revers, Sancte Januari, rege et protege nos ; plus bas, 1648. Cette monnaie est d’argent ; elle valait quinze grains. La seconde, même légende ; au revers, trois épis de blé et un olivier croisés ensemble. La troisième, même légende ; au revers, Hine libertas ; dans le champ, un panier de fruits, pour montrer que la révolte commença dans le marché aux fruits.