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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/101

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ANT

sur le trône de France, d’Antraigues entretenait à Paris, avec de grands personnages, des relations qui contribueront beaucoup à ce grand changement, et qu’ainsi il n’y fut pas étranger. Mais il ne devait pas voir la restauration de cette famille, dont ses premiers écrits avaient préparé les malheurs : il fut assassiné au village de Barne, près de Londres, le 22 juillet 1812, au moment où il allait monter en voiture, par un Italien à son service nommé Lorenzo, que lui avait donné Dumouriez. Suivant les papiers anglais qui rendirent compte de cet événement, le cocher du comte en fut le seul témoin ; encore la déposition de cet homme, telle qu’ils l’ont rapportée, parait-elle fort embarrassée. Il vit Lorenzo tirer sur son maître un coup de pistolet qui ne porta pas ; donner ensuite au comte un coup de poignard qui lui traversa l’épaule, et madame d’Antraigues, mortellement blessée, revenir vers sa voiture, chanceler et tomber ; enfin il vit encore le comte d’Antraigues, qui était remonte dans sa maison, étendu mourant sur un lit, privé de l’usage de la parole, et Lorenzo mort sur le plancher : on présuma que l’assassin s’était tué lui-même d’un second coup de pistolet dont le bruit s’était fait entendre avant que le cocher eut quitte sa voiture pour secourir ses maîtres. Le jury anglais, devant lequel l’affaire fut portée. déclara constant l’assassinat du comte et de la comtesse d’Antraigues par le suicidé Lorenzo. Quoi qu’il en soit, cet événement ne parut point suffisamment éclairci ; on prétendit que toutes les circonstances n’en avaient pas été examinées et recherchées avec assez de soin ; on crut enfin que si Lorenzo fut réellement l’assassin, il reçut lui-même la mort par l’ordre ou de la main de ceux qui l’avaient fait agir. Cette dernière version est d’autant plus probable que, dès le lendemain, le ministère fit saisir et enlever tous les papiers du comte, où se trouvaient consignés, sans aucun doute, des secrets de la plus haute importance. Ainsi finit ce personnage, dont la vie offre un des tableaux les plus frappants de l’inconstance de l’esprit humain : il était plein de talent et d’érudition, ses écrits en font foi ; mais son imagination fougueuse ne lui permit jamais de se renfermer dans les bornes que la perspicacité de son esprit et ses connaissances devaient lui faire découvrir. Quoiqu’appartenant à la noblesse d’épée, il n’avait aucun goût pour l’état militaire, et on ne le vit point figurer parmi les braves qui voulaient rentrer en France les armes a la main : il préféra les moyens dont on vient de parler dans cet article. Il était très-bel homme et avait le regard plein de vivacité et d’expression. Les avantages de son esprit, les agréments de sa figure le faisaient accueillir dans les plus hautes sociétés. Le succès de son fameux Mémoire l’avait en quelque sorte mis hors de lui-même, et il ne craignit pas un jour de demander à la reine si elle l’avait lu. La princesse, qui n’estimait pas le comte, répondit sèchement qu’elle ne s’occupait pas de discussions politiques. Outre le Mémoire et la Conversation dont il a été parlé, d’Antraigues a publié : 1° un écrit sur cette question : Quelle est la situation de l’assemblée nationale ? 1790, in-8o ; 2° Exposé de notre antique et seule règle de la constitution française, d’après nos lois fondamentales, 1792, in-8o ; 3° Mémoire sur la constitution des états de la province de Languedoc ; 4" Sur la régence de Louis-Stanislas-Xavier, 1795, in-8o ; 5° Lettre à M. de L. C. sur l’état de la France, 1796, in-8o ; 6° Dénonciation aux Français catholiques des moyens employés par l’assemblée nationale pour détruire en France la religion catholique, 1791, in-8o ; 4e édition, 1792, in-8o ; ouvrage publié sous le pseudonyme d’Henri-Alexandre Audainel ; 7° Discours d’un membre de l’assemblée nationale à ses codéputés, 1789, in-8o de 58 pages, qui a été suivi d’un second en 16 pages ; 8° Observations sur la conduite des princes coalisés, 1795, in-8o ; 9° Réponse au Coup-d’œil de Dumouriez ; Réflexions sur le divorce ; Adresse à la noblesse française sur les effets d’une contre-révolution. C’est par erreur qu’on l’a nommé quelquefois d’Entraigues. Un de ses ouvrages porte sur le frontispice : « Par le comte D.A.N.T.R.A.I.G.U.E.S. » (avec un point après chaque lettre). Nous terminerons cette notice par une lettre qu’il écrivit le 31 août 1811, peu de temps avant sa mort, aux éditeurs d’une Biographie qui lui avaient demandé des renseignements sur sa propre vie. Nous en avons l’autographe sous les yeux, et nous la citerons tout entière, vu son peu d’étendue et les traits assez remarquables qui s’y trouvent. « J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, ainsi que la copie de l’article qui me concerne et qui se trouve dans le dictionnaire imprimé à Paris. Il y a des faussetés dans cet article, où je trouve que mes poésies fugitives ont eu du succès. Je ne m’y serais pas attendu, n’ayant jamais fait des vers ; mais je n’ai pas dû attendre qu’un article qui me concerne, imprimé dans la ville soumise au tyran de l’Europe, put être exact. Je reverrai cet article, et j’en ôterai les faussetés et les erreurs. Je reverrais volontiers ceux de mon ami Cazalès, du cardinal Maury, de M. de Malesherbes, mon respectable ami depuis 1771. Quant à M. Boissy d’Anglas, quoique député du Vivarais, je ne connais de lui que sa vie publique, et encore la connais-je imparfaitement ; et je ne sais sur M. Regnaud de St-Jean-d’Angely que ce que tout le monde sait. S’il y a un article sur un nommé Gamon du Vivarais, je sais ce qui concerne ce coquin-là. J’ai vu aussi dans un dictionnaire de ce genre, imprimé en 1808, un article sur ma femme rempli de faussetés ; je pourrai relever les erreurs de cet article. J’ai l’honneur d’être, messieurs, etc. Le comte n’Antraigues. » Il avait épousé la St-Huberti, fameuse actrice de l’Opéra de Paris, qui le suivit dans l’émigration, et qui fut sa femme après avoir été longtemps sa maîtresse. Il lui avait fait obtenir du roi Louis XVIII le cordon de St-Michel. On vient de voir comment elle mourut assassinée. Quelques personnes ont dit qu’elle avait excité par son excessive parcimonie la