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essayait vainement de représenter l’écume qui sortait de la bouche d’un coursier fougueux ; impatienté de la faiblesse de son imitation, il saisit une éponge qu’il jeta sur cet ouvrage imparfait, et le hasard lui fit obtenir l’effet qu’il n’avait pu rendre jusque-là. Alexandre le chérissait tellement, qu’il n’hésita pas à lui sacrifier une esclave charmante, nommée Campaspe, dont ce prince était amoureux. Il avait chargé l’artiste de la peindre nue ; à la vue de tant de charmes, celui-ci ne put dissimuler son trouble, et Alexandre, qui s’en aperçut, la lui donna. Après la mort d’Alexandre, Apelles, jeté par une tempête sur les côtes d’Égypte où régnait Ptolémée, qui ne l’aimait pas, se rendit auprès de ce prince sur le faux avis d’un bouffon, et se présenta au milieu d’un festin qui se donnait à la cour : comme le roi paraissait irrité de cette hardiesse, le peintre, ne connaissant pas le nom de l’homme qui lui avait tendu ce piège, prit le parti d’en dessiner la figure sur la muraille ; chacun reconnut le coupable, et il fut puni. Peu de temps après, Apelles fut accusé par le peintre Antiphile d’avoir trempé dans une conspiration. (Voy. Antiphile.) Plusieurs auteurs ont désigné cette conspiration comme celle de Théodote, gouverneur de Tyr ; mais cette dernière n’eut lieu que sous le règne de Ptolomée Philopator, cent ans après la mort d’Alexandre. Quoi qu’il en soit, Apelles vit ses jours menacés ; il fut chargé de fers, mais un des conjurés le justifia. De retour dans sa patrie, il peignit, en mémoire de cet événement, son fameux tableau de la Calomnie. On y voyait un roi avec des oreilles énormes ; à ses côtés se tenaient le Soupcon et l’Ignorance. La Calomnie, sous la figure d’une femme superbe, richement vêtue, et tenant une torche à la main, amenait devant lui un jeune homme qu’elle traînait par les cheveux, et qui semblait prendre le ciel a témoin de son innocence ; la Fraude et la Perfidie suivaient la Calomnie ; et, derrière ce groupe, on voyait le Repentir en habits de deuil, qui montrait plus loin la Vérité, sous les traits d’une femme belle et modeste [1]. On ignore le temps et le lieu de la mort d’Apelles ; il avait écrit sur les secrets de son art trois traités, qui existaient encore du temps de Pline. Apelles recueillait avec soin les avis du public sur ses ouvrages, et il exposait aux regards des passants ses tableaux, derrière lesquels il se cachait souvent pour entendre ce qu’on disait. Un cordonnier critiqua un jour le cothurne d’une de ses figures ; Apelle l’entendit et corrigea cette chaussure ; le même artisan, fier de voir qu’on avait profité de son avis, voulut le lendemain censurer une autre partie : « Cordonnier, ne passez pas la chaussure, » lui dit Apelles. Il croyait qu’on peintre ne devait pas laisser écouler un jour sans manier le crayon. Un artiste lui montrait un ouvrage qu’il avait fait avec une extrême promptitude, et qui n’avait pas d’autre mérite ; et comme il s’enorgueillissait de cette célérité : « Je m’en étais aperçu, répondit Apelles, et je m’étonne seulement que vous n’en ayez pas fait davantage dans le même temps. » Un de ses élèves avait peint une Hélène magnifiquement habillée ; Apelles dit en la voyant : «Tu n’as pu la faire belle, et tu l’as faite riche. » Il ne se servait habituellement que de quatre couleurs, dont Pline indique les bases et la composition. Il avait inventé un vernis qui donnait de l’harmonie à ses tableaux, et les garantissait de la poussière ; lui seul en avait le secret. Reynolds a prouvé que ce vernis différait peu des nôtres. Pline et Pausanias citent un très-grand nombre d’ouvrages d’Apelles. L-S-e.


APELLES, hérétique, vivait vers l’an 160. Il suivit d’abord la doctrine de Marcion, mais ensuite il adopta et propagea les opinions d’une prétendue prophétesse nommé Philuména. Tertullien prétend qu’ils avaient eu ensemble une intrigue criminelle. Sa doctrine sur la nature divine était qu’il existe un principe parfaitement bon, d’un pouvoir ineffable et supérieur à tout. Ce Dieu avait donné l’être à un autre Dieu, son inférieur et son sujet, et cette seconde divinité, qui était de la nature du feu, avait crée le monde. À l’égard de Jésus-Christ, il enseignait qu’il était le fils du Dieu bon, et son saint esprit, et qu’il avait eu un corps réel qu’il ne tenait point de la vierge Marie. Selon Apelles, il l’avait tiré des quatre éléments en descendant du ciel ; et en y retournant, avait rendu à chacun d’eux la portion qui lui appartenait. Il condamnait, comme Marcion, le mariage, rejetait l’autorité divine de l’Ancien Testament, ainsi que celle de Moise, et soutenait que les prophètes étaient pleins de contradictions. On n’a plus aucun des nombreux ouvrages de cet homme, auquel les écrivains orthodoxes n’ont pas épargné les objections et les reproches. D-t.


APELLICON, de Téos, de la secte péripatéticienne, est un de ceux auxquels nous devons la conservation des livres d’Aristote. En mourant, le philosophe de Stagyre confia ses ouvrages à Théophraste, qu’il avait désigné pour son successeur. Théophraste les légua, par son testament, à Nélée, qui les transporta à Scepsis, sa patrie, dans la Troade. Après la mort de Nélée, ses héritiers, gens sans culture, craignant les poursuites des rois de Pergame, qui faisaient enlever, dans toutes les villes de leur domination, les livres précieux, pour enrichir leur bibliothèque, cachèrent les ouvrages d’Aristote dans une caverne, où ils restèrent plus de cent trente ans, et souffrirent beaucoup des vers et de l’humidité. Au bout de ce temps, Apellicon les acheta de quelques descendants d’Aristote, ou de Théophraste. Il voulut ensuite les mettre en ordre, et réparer les lacunes occasionnées par l’altération des manuscrits ; mais, plus riche que savant, plus bibliomane que lettré, il s’acquitta mal de cette tache difficile. Après sa mort, Sylla, s’étant emparé d’Athénes, la 4e année de la 173e olympiade, fit enlever et transporter à Rome les livres d’Apellicon, et ce fut Tyrannion, grammairien assez obscur, que l’on charges de les classer, d’en corriger le texte, et de les copier. Apellicon, que sa grande fortune, et le titre de citoyen d’Athènes dont il jouissait, mettaient à même de satisfaire sa passion

  1. Raphael a exécuté, d’après ces indications. un dessin à la plume, lavé de bistre. connu sous le nom de la Calomnie d’Apelles.