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étaient des diversions faites dans l’intention de parer les coups que les Romains allaient porter à la monarchie que Marbod venait de former entre l’Elbe, la Saale et l’Oder, nous serions étonnés sans doute de trouver une si vaste conception et des combinaisons si savantes, à une époque et chez des peuples ou l’on est peu disposé à les chercher ; mais nous en comprendrions mieux comment Arminius a pu exécuter une entreprise qui n’avait encore réussi a aucun ennemi des Romains, et pourquoi ce héros est devenu l’objet du culte et le sujet des chants guerriers des peuples barbares[1]. Au reste, on n’a pas besoin de lui attribuer un plan si vaste, pour admirer et les talents qu’il déploya, et le concert qui régna entre les opérations des confédérés, concert que la défection même de Ségeste ne parvint pas à troubler. Ce chef des Cattes, soit par un scrupule qui ne lui permettait pas de conquérir l’indépendance en blessant la loyauté, soit par un motif moins louable, dénonça au général romain la trame qui s’ourdissait ; mais la présomption et la légèreté de Varus lui firent négliger cet avis, et Arminius redoubla de soins auprès de lui pour dissiper ses doutes, en portant son attention sur les troubles qui venaient d’éclater sur les bords du Weser, et qu’Arminius avait excités lui-même, dans le but d’attirer l’année romaine dans l’intérieur de la Germanie. Les troupes allemandes, qui servaient comme auxiliaires dans cette armée, affectèrent la plus entière soumission, et leurs officiers, amis d’Arminius et ses complices, confirmèrent de plus en plus Varus dans son aveugle sécurité. Des soulèvements concertés et partiels eurent d’abord lieu dans des contrées lointaines, pour obliger le préfet romain à disséminer ses forces. Quand le corps de l’armée se trouva réduit à trois légions, a quelques cohortes et aux perfides auxiliaires, l’insurrection devint plus générale ; Hermann et ses amis, vivant dans intimité de Varus et admis a son conseil, multiplièrent les preuves apparentes de zèle, et insistèrent sur la nécessité de ne pas attendre les rebelles, mais d’aller étouffer le feu de la révolte dans son foyer. En vain le traître Ségeste renouvelait-il ses avertissements ; tous les jours l’armée s’éloignait davantage du Rhin, et s’enfonçait dans les contrées où l’attendait le piége le plus funeste. Arrivée prés des sources de la Lippe, dans le pays des Bructères, après une marche pénible sur un terrain, tantôt glissant, tantôt marécageux, et où il fallait à chaque pas se faire jour à coups de hache, elle vit tout à coup, dans un bassin entouré de collines élevées, toutes les hauteurs voisines couvertes de Germains, et apprit en même temps qu’Arminius était tombé sur les Romains de l’arrière-garde qui lui était confiée, et qu’il était l’âme des mouvements hostiles qui se développaient devant eux[2]. Alors se dessillèrent les yeux de l’infortuné Varus ; le courage et la discipline des vainqueurs du monde firent des prodiges, mais ne servirent qu’a prolonger leurs souffrances. Elles durèrent trois jours. Peut-être la valeur et la constance romaines, déployées dans ces jours funèbres, sauvèrent-elles les Gaules, en détournant les Germains d’une invasion, dont la crainte remplit Auguste de terreur dans les premiers moments[3] ; mais elles n’empêchèrent pas Arminius de s’emparer de trois aigles romaines, et de mettre pour jamais un terme à leurs progrès dans le nord de la Germanie. Varus ne voulut pas survivre à sa honte. Arminius souilla sa victoire par des cruautés inutiles. La rage des vainqueurs s’exerça particulièrement sur ces hommes de loi, dont les idées et les arguties avaient si fort contrarié leurs habitudes nationales : aux uns ils coupaient les mains ; ils crevaient les yeux aux autres. Un soldat ayant arraché la langue à un de ces légistes, et cousu sa bouche, ne pouvait se rassasier de cet horrible spectacle, et s’écriait, en serrant la langue dans sa main : « Vipère, maintenant tu cesses de siffler. » Le lieu précis du champ de bataille est difficile à déterminer, les anciens ne le désignant que sous le nom vague de forêt Teutoburgienne ; mais les indications qu’offre le récit de Tacite repoussent entièrement l’opinion du savant géographe Mannert, qui le cherche sur les confins des comtés de la Lippe méridionale, de la Marche, et du duché de Westphalie ; elles s’accordent mieux avec la tradition qui place la bataille de Varus non loin des sources de l’Ems et de la Lippe, auprès de la petite ville de Dethmold. Les lieux voisins sont pleins des souvenirs de ce mémorable événement. Le champ qui est au pied du Teuteberg s’appelle encore Wintfeld, ou champ de la Victoire ; il est traversé par le Rodenbecke, ou ruisseau de Sang, et le Knotchenbach, ou ruisseau des Os, qui rappelle ces ossements trouvés six ans après la défaite de Varus, par les soldats de Germanicus, venus pour leur rendre les derniers honneurs. Tout prés de la est Feldrom, le champ des Romains ; un peu plus loin, dans les environs de Pyrmont, le Herminsberg, mont d’Hermann (Arminius), couvert des ruines d’un château qui porte le nom de Harminsbourg, et sur les bords du Weser, dans le même comte de la Lippe, on trouve Varenholz, bois de Varus. C’est aussi dans cette même contrée que Charlemagne s’empara d’Ermensul, image d’un guerrier, objet de la plus fervente adoration des peuples, et, suivant toutes les probabilités, dernier reste du culte que les nations de la Germanie rendaient à leur libérateur. Après avoir délivré son pays, Arminius ne demeura pas inactif sous ses lauriers ; il détruisit les forts que les Romains avaient fait bâtir sur l’Elbe, le Weser et le Rhin. Il fit plus ; il nourrit dans sa nation l’ardeur guerrière qu’il croyait, avec raison, être le meilleur boulevard contre la soif de conquêtes qui animait les Césars. Ses efforts ne furent sans doute pas infructueux ; mais il eut à

  1. Canitur adhuc barbaras apus gentes. Tsc. Ann. l. 1er, ch 88.
  2. Les Bructères et les Marses., peuples de la Westphalie, entre l’Ems et le Rhin, et, après les Chérusques, membres principaux de la ligue d’Arminius.
  3. À la première nouvelle, il déchira ses vêtements, prit toutes les mesures que pouvaient inspirer la consternation et l’effroi, et ne cessa pendant plusieurs mois de s’écrier, en donnant les marques du plus violent désespoir : « Ut par continuos arba capolloque summisso, caput interdum foribus, vociferans. « Quinttilius Varus, rends-moi mes légions ! » Suét., Aug., ch 23. 34.