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avec son fils Ardaburius, plusieurs intrigues pour faire échouer les entreprises de Léon ; celui-ci, pour se concilier ces hommes dangereux, déclara enfin César Patricius, le second fils d’Aspar, et lui fiança sa fille Léontie. Mais Aspar et Ardaburius, peu satisfaits d’avoir fait trembler leur maître, conspirèrent de nouveau ; Léon en fut instruit, et les manda au palais, où ils furent massacrés par les eunuques, en 471. La puissance et le crédit de cet homme ne furent point anéantis par sa mort ; des officiers goths voulurent le venger, et excitèrent des troubles violents ; Constantinople fut menacée, les provinces furent ravagées, et l’esprit séditieux d’Aspar, du fond de la tombe, fut encore funeste à l’empire qu’il avait si longtemps opprimé. L-S-e.


ASPASIE. Lorsqu’on est appelé à caractériser les femmes de l’antiquité et surtout de la Grèce, on éprouve un genre d’embarras très-pénible ; on est séduit par leurs talents, et repoussé par leur conduite. Rarement les femmes illustres, à cette époque de la civilisation, méritaient tout à la fois l’admiration et l’estime, et, parmi les bienfaits sans nombre de la religion chrétienne, il faut compter l’introduction de ces mœurs sociales et pures qui permettent aux femmes de se montrer sans s’avilir, et de manifester leur âme sans souiller leur réputation. Aspasie naquit à Milet, en Ionie ; elle était fille d’Axiochus. On prétend que les femmes de l’Asie Mineure étaient plus belles que celles d’Athènes. L’Asie a quelque chose de merveilleux qu’on retrouve sous mille formes diverses. Une autre beauté d’Ionie, Thargélie, avait, avant Aspasie, donné l’exemple de la singulière réunion des talents politiques et littéraires, avec toutes les grâces de son sexe. Il parait qu’Aspasie la prit pour modèle, quoiqu’elle ne consacrât pas, comme Thargélie, ses moyens de plaire à faire des partisans au roi de Perse. Les femmes étrangères étaient, pour ainsi dire, prescrites par les lois d’Athènes, puisque leurs enfants, nés dans le mariage, ne pouvaient être considérés comme légitimes : peut-être cette situation contribua-t-elle à placer Aspasie dans la classe des courtisanes. Quand l’ordre social est injuste, les individus sur lesquels il pèse s’affranchissent souvent de toutes les barrières, irrités qu’ils sont de n’avoir pas été protégés par elles. Dans les monarchies, on se sent une sorte d’éloignement pour les femmes qui se mêlent des affaires publiques ; il semble qu’elles deviennent les rivales des hommes, en usurpant la carrière dans laquelle ils peuvent se mouvoir ; mais, dans une république, la politique étant le premier intérêt de tous les hommes, ils ne seraient point associés du fond de l’âme avec les femmes qui ne partageraient pas cet intérêt. Aspasie s’occupa donc d’une manière remarquable de l’art des gouvernements, et en particulier de l’éloquence, l’arme la plus puissante des pays libres. Platon, dans son Dialogue de Menexène, cite une très-belle harangue d’Aspasie, en l’honneur des Athéniens morts à Léchée. Il dit qu’elle avait enseigné l’art oratoire à Périclès. Le poëte élégiaque Hermésianax nous peint Socrate comme amoureux d’Aspasie : « Vénus, dit-il, se vengea sur lui de son austère sagesse, en l’enflammant pour Aspasie ; son esprit profond n’était plus occupé que des frivoles inquiétudes de l’amour. Toujours il inventait de nouveaux prétextes pour retourner chez Aspasie, et lui qui avait démêlé la vérité dans les sophismes les plus tortueux, ne pouvait trouver d’issue aux détours de son propre cœur. » Aspasie elle-même adressa des vers à Socrate, pour le consoler de l’amour malheureux qu’il ressentait ; mais il est permis de penser qu’elle s’enorgueillissait un peu d’un empire dont Socrate pouvait toujours se dégager à son gré. La gloire de la vie d’Aspasie, ce fut le sentiment sincère et durable qu’elle sut inspirer à Périclès, à ce grand homme qui savait être à la fois citoyen et roi d’une république. On l’avait surnommé Jupiter Olympien, et sa compagne Aspasie fut appelée Junon ; il avait d’elle un fils naturel. Toutefois l’égarement de la passion ne suffit point à son bonheur ; il voulut contracter des liens plus intimes avec elle, et se sépara de sa femme pour épouser Aspasie. Plutarque raconte qu’il avait pour elle la tendresse conjugale la plus parfaite : un tel sentiment peut-il être inspiré par une femme dépravée ? Aspasie fut accusée d’avoir été la cause de deux guerres : entre les Athéniens et les Samiens, à cause de Milet, sa patrie ; et entre les Athéniens et les Lacédémoniens, à l’occasion de la ville de Mégare. Plutarque la justifie de ce tort, et Thucydide ne prononce pas son nom, en racontant avec détail toutes les causes de la longue guerre du Péloponèse. Le seul Aristophane désigne Aspasie comme en étant la cause ; mais Aristophane attaquait tous ceux dont la réputation faisait du bruit dans Athènes, parce que le succès de ses comédies tenait non-seulement au brillant de son esprit, mais a l’audace de son caractère. D’ailleurs, dés qu’une femme a du crédit sur les chefs de l’État, il est impossible qu’on ne lui attribue pas les revers quelconques qui tombent sur la chose publique ou sur les particuliers. L’imagination s’exerce sur la puissance secrète dont personne ne peut calculer l’étendue, et les malheureux aiment à s’en prendre de ce qu’ils souffrent, à ce qu’ils ignorent. Le peuple d’Athènes, irrité contre Périclès, intenta des procès pour cause d’impiété à Anaxagore, à Phidias et à Aspasie. Il poursuivait les premiers objets de l’affection de Périclès, n’osant pas s’attaquer à lui-même. Périclès ne put sauver de l’exil Anaxagore ni Phidias ; mais, au milieu de l’aréopage, il versa des larmes en défendant Aspasie. Le sentiment qu’on dut éprouver en voyant une âme si forte atteinte par une émotion si touchante désarma les juges. Périclès mourut la troisième année de la guerre du Péloponèse, et l’on dit qu’Aspasie, l’amie de Socrate, la compagne de Périclès, l’objet des hommages d’Alcibiade, s’attacha dans la suite à un homme obscur et vulgaire, nommé Lysiclès ; mais bientôt elle le pénétra de son âme, et il acquit en peu de temps un grand pouvoir dans Athènes. Quelques poètes comiques du temps ont accusé Aspasie de tenir une école de mauvaises mœurs, et d’en donner à la fois l’exemple et le précepte. Peut-être la jalousie qu’inspiraient ses rares