Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
ANN

25 avant J.-C., et tourna plusieurs fois ses regards vers cette belle Italie, théâtre de sa gloire, où il s’était maintenu seul, pendant seize ans, contre toutes les forces des Romains. À la nouvelle de son départ, Rome parut ivre de joie. Carthage, au contraire, attendait avec anxiété l’arrivée du seul général qui put balancer la fortune de Scipion. Il débarqua au port de Leptis, attira d’abord dans son camp un parti de Numides, et vint camper à Adrumète. Maître de la campagne, Scipion s’empara de plusieurs villes dont il fit passer les habitants sous le joug. Annibal, pressé par ses concitoyens d’en venir à une action décisive, s’approcha de l’ennemi, et vint camper à Zama, à cinq journées de Carthage ; mais, se défiant de la fortune, il songea sérieusement à la paix, et fit demander une entrevue à Scipion. Ces deux grands hommes, escortés par des détachements égaux de cavalerie, se rencontreront à Nadagara, et restèrent quelque temps en silence, comme étonnés à la vue l’un de l’autre. Annibal parla le premier. Son discours fut noble et touchant. Il dit que Carthage se renfermerait volontiers dans les bornes de l’Afrique, puisque telle était la volonté des dieux ; et, rappelant à Scipion l’inconstance de la fortune, il se donna lui-même comme un exemple de ses vicissitudes. Scipion, parlant en vainqueur, dit que c’était aux armes à terminer la querelle, et blessa Annibal par sa fierté. Les deux généraux se séparèrent, résolus de livrer bataille le lendemain. L’armée romaine, forte de 205 à 30,000 hommes, fut rangée en colonnes, par cohorte, sur une ligne, avec les distances nécessaires pour laisser le passage libre aux éléphants. 30,000 hommes environ composaient l’armée carthaginoise, qui fut rangée sur trois lignes, en phalanges, et les vieilles troupes en réserve ; car Annibal n’espérait la victoire que des efforts réunis de ses trois lignes, qui devaient se prêter un soutien mutuel. De part et d’autre la cavalerie couvrait les ailes. Les deux armées s’attaquèrent dans une plaine rase et découverte, l’an 201 avant J.-C. Jamais bataille ne fut plus mémorable, soit que l’on considère les deux chefs, la bravoure des troupes, ou l’importance des résultats. L’action fut engagée par les éléphants ; mais Scipion avait disposé ses troupes légères de manière à détourner ces animaux dans les intervalles des cohortes, ce qui réussit parfaitement. Alors la ligne des colonnes romaines attaqua avec impétuosité la première ligne d’Annibal et la culbuta sur la seconde. Ce général avait commis la faute d’établir ses lignes serrées, sans laisser entre les différents corps assez de distance. Les fuyards, ne pouvant trouver d’issue, mirent le désordre dans la seconde ligne, et l’entraînèrent avec eux. Au même instant, la cavalerie numide auxiliaire des Romains, ayant culbuté la cavalerie carthaginoise, revint triomphante de la poursuite de l’ennemi, prit à dos la réserve d’Annibal et la tailla en pièces. Tite-Live et Polybe assurent qu’il demeura sur la place près de 20,000 Carthaginois, et que Scipion fit un nombre égal de prisonniers. Annibal, vaincu, s’enfuit à Adrumète, recueillit les restes des fuyards, et, en peu de jours, rassembla un corps d’année capable d’arrêter les progrès du vainqueur. Il se rend ensuite à Carthage, et déclare au sénat qu’on ne doit plus espérer de salut que dans la paix. Mais les conditions en étaient si dures, que Giscon, d’ailleurs ennemi de la faction Barcine, harangua le sénat pour les faire rejeter. Annibal, indigné, précipita Giscon de la tribune. Cet acte de violence excita les murmures de l’assemblée. « Absent depuis trente-six ans de Carthage, répondit Annibal, je n’ai appris que la guerre ; quant à vos lois, à vos coutumes, je les ignore. » Puis, conjurant les sénateurs d’oublier leurs divisions, et d’opposer plus d’unanimité à la faction populaire, déjà trop puissante, il les fit consentir à la paix. Telle fut, après dix-huit ans d’une lutte sanglante, la fin de la seconde guerre punique, doublement fatale aux Carthaginois, qui se virent arracher leurs anciennes conquêtes, et perdirent, avec leur flotte, tout espoir d’en tenter de nouvelles. Redevenu simple citoyen, Annihal conserva tout son crédit, et le sénat lui donna le commandement d’une armée dans l’intérieur de l’Afrique ; mais Rome, à qui le nom seul d’Annibal faisait ombrage, exigea son rappel. Les Carthaginois lui conférèrent alors la préture, charge qu’il éleva au niveau de son génie. Réformant les abus dans l’administration de la justice et dans les finances, il osa mettre un terme aux concussions, malgré la haine des vampires de l’État, et l’animosité de la faction d’Hannon. Ce fut cette faction qui l’accusa auprès des Romains d’entretenir des liaisons secrètes avec Antiochus, roi de Syrie, dans la vue de rallumer la guerre. Des commissaires romains vinrent à Carthage, et demandèrent qu’Annibal leur fût livré. Il n’eut que le temps de fuir vers la côte, accompagné seulement de deux personnes, et, mettant à la voile, il gagna l’île de Cercine. Ses ingrats concitoyens renversèrent son palais, mirent ses biens en vente, et le déclarèrent banni. Tite-Live nous apprend que ce grand homme, prescrit et fugitif, déplora le sort de sa patrie bien plus que le sien. De Cercine, il se rendit à Tyr, à qui Carthage devait son origine ; et il y fut reçu avec de grands honneurs. Passant ensuite à Éphèse, où était la cour d’Antiochus, il engagea ce prince à déclarer la guerre aux Romains, et lui persuada que l’Italie devait en être le théâtre. Antiochus approuva les projets d’Annibal ; mais lorsque ce dernier envoya proposer à Carthage de s’allier avec ce monarque, et de rompre avec Rome, ses ennemis prévalurent dans le sénat, et firent tout échouer. D’un autre côté, les ministres du roi de Syrie, jaloux de son crédit, cherchèrent à le rendre suspect à Antiochus, qui l’éloigna de ses conseils. Ce fut alors qu’Annibal tint ce discours au monarque syrien : « Vous flattez-vous, Antiochus, que les légions victorieuses qui vous ont chassé d’Europe n’oseront vous poursuivre en Asie ? Détrompez-vous ; le danger est pressant ; il faut abdiquer la couronne, ou vous opposer de tout votre pouvoir aux desseins d’un peuple qui aspire à la conquête di monde. » Antiochus, frappé de la solidité de ces raisons, résolut de poursuivre la guerre avec vi-