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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/375

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mains, l’éloquence de Léon, son air vénérable, apaisèrent la colère du prince barbare ; il faut croire aussi que l’arrivée d’Aétius et le souvenir de la bataille de Chalons purent contribuer à le rendre moins inexorable. Comme il ravageait tous les pays qu’il parcourait, son armée manquait presque toujours de vivres ; le beau ciel d’Italie commençait d’ailleurs à amollir les pâtres du Nord : Attila accepta les conditions de la paix et revint en Hongrie. Les Romains, qui n’avaient eu pour défense que leurs prières, remercièrent le ciel, et crurent devoir leur salut à un miracle. On racontait qu’Attila avait été effrayé des menaces de St. Pierre et de St. Paul, descendus du ciel à la voix de St. Léon. Cette fable est reléguée aujourd’hui dans les vieilles chroniques, et nous ne la répétons ici que parce qu’elle a été consacrée par le pinceau de Raphaël et le ciseau de l’Algarde. Attila, de retour de Hongrie, tenta contre la Gaule une nouvelle expédition qui ne réussit pas plus que la première ; il trouva, dans les Alains, les Francs et les Goths des ennemis invincibles. Obligé, pour la seconde fois, de quitter la Gaule, il se ressouvint qu’on ne lui avait point encore livré la princesse Honoria, et résolut d’aller la demander le fer et la flamme à la main ; pendant qu’il faisait ses préparatifs pour attaquer de nouveau l’Italie, et qu’il répétait sans cesse le nom d’Honoria dans ses terribles manifestes, il fut séduit par la beauté d’une jeune fille nommée Ildico, et l’ajouta à la nombreuse liste de ses épouses. Attila se livra, en cette occasion, à tous les excès de la débauche et de l’amour. Le lendemain de son mariage, ses courtisans et ses guerriers, impatients de saluer leur maître, pénétrèrent dans sa tente, et trouvèrent la jeune Ildico couverte d’un voile, assise près du corps glacé de sou époux. Pendant la nuit, Attila avait été étouffé par une hémorragie, l’an 453. On soupçonna sa nouvelle épouse d’avoir contribué à sa mort, et, dans les deux cours de Rome et de Byzance, la jeune Ildico fut célébrée comme une autre Judith. On exposa le corps d’Attila au milieu de la plaine, sous un pavillon de soie, et ses guerriers en firent plusieurs fois le tour en chantant des vers à la louange de celui qui avait été leur père et la terreur de l’univers ; les barbares se coupèrent les cheveux selon leur usage, et répandirent leur sang pour honorer la pompe funèbre de leur chef. Le corps du roi des Huns fut enfermé dans trois cercueils, le premier d’or, le second d’argent, et le troisième de fer ; on égorgea les captifs qui avaient creusé la tombe, et le corps d’Attila fut enseveli pendant la nuit, comme si on eut voulu dérober le secret de sa tombe à tous les peuples qui devaient maudire sa mémoire. Jornandès nous a laissé un portrait de ce roi barbare, qui rappelle son origine et qui nous offre des traits qu’on retrouve encore dans les Tartares Kalmouks. Il avait une grosse tête, un nez aplati, de larges épaules, une taille courte et carrée. Sa démarche était fière, sa voix forte et sonore ; il roulait sans cesse des yeux féroces, et les rois qui suivaient sa cour disaient qu’ils ne pouvaient supporter la majesté de ses regards. Corneille a peint d’un seul trait la manière hautaine avec laquelle il traitait les princes qui suivaient sa cour :

Ils ne sont pas venus nos deux rois ; qu’on leur dise
Qu’ils se font trop attendre, et qu’Attila s’ennuie.

Attila avait coutume de dire que l’herbe ne pouvait croître où son cheval avait passé ; il mettait toute sa gloire à inspirer la terreur, et ne cherchait point à se distinguer par les dehors de la magnificence. Sa table était de bois, ainsi que ses coupes et ses plats ; il ne se nourrissait que de viande, et regardait le pain comme un luxe indigne des conquérants du Nord. Maître de plusieurs royaumes, il n’eut jamais de capitale, et son palais n’était qu’une immense cabane ornée des dépouilles des vaincus. Il ne manquait point de talents militaires ; vaincu plusieurs fois, il fit sa retraite avec habileté, et ne reparut que plus redoutable sur le champ de bataille ; il mérita l’affection de ses alliés qui ne l’abandonnèrent point dans les revers, et celle de ses sujets qui célébraient sa justice. Le modèle des héros barbares, il effraya le monde par ses conquêtes, et l’étonna quelquefois par sa générosité et sa clémence. Ne connaissant d’autre politique que la guerre, et d’autres lois que celles de la victoire, il ne fit rien pour conserver à sa famille les vastes États qu’il avait conquis : l’empire des Huns périt avec lui, et les ruines de cinq cents villes furent les seuls monuments de sa puissance[1].


  1. La vie d’Attila a été écrite en latin par Cœlius Juvenens, sous ce titre : Cælii Juvencii Vita Attilæ, Hunnorum ducis, imprimée d’abord à Venise, 1502, à la suite des Vies de Plutarque ; séparément à Ingolstadt, 1601, in-1°, et la Presbourg. 1756, in-fol. : elle a été insérée en outre dans le Promptuarium ecclesiasticum de H. Canisius, et dans le tome 1er de l’ouvrage de Mathias Bel : Amplissimæ historico-criticæ Præfationes in Scriptores rerum hungaricum, par P. Callimachus Experiens : de Gesis Attilæ sans date (probablement Trévise, 1489), in-4° ; Haguenau, 1534, in-4°; Bâle, 1541, in-8° et insérée dans les Rerum hungaricum Decades d’Ant. Bonfini ; — par Nicolas Olahus; publiée en 1558, et réimprimée à la suite de l’histoire de Bonfini, que nous venons de citer. — On a trouvé, en 1777, dans les archives de Bavière, un manuscrit très-bien conservé du 13e siècle, contenant un poëme sur la première expédition d’Attila dans les Gaules, et sur les hauts faits de Gaultier, prince des Aquitaine. F.-C.-J. Fischer, attaché à la légation de Deux-Ponts, le fit imprimer en 1780 : de Prima Expeditione Attilæ, regis Hungorum, in Gallia, ac de rebus gestis Waltharii, Aquitenorum principis, carmen epicum sæc.6, ex cod. Ms. memb. optim notœ summa fide descriptum, nunc primim in lucem productum, etc., Leipsick, 1780, in-4°. On n’avait alors que 1533 hexamètres ; cent dix-neuf autres vers furent découverts un peu plus tard à Carlsruhe, dans un manuscrit du 9e siècle, et publiés en 1792 : de Prima Expéditione Attila, etc., Continuatio, Leipsick,1792, in-4°. Cet ouvrage, qui renferme des locutions barbares, tient beaucoup plus du roman que de l’histoire. Rien n'indique le nom de l’auteur ; il adresse son poëme a ses frères, ce qui fait seulement voir qu’il était moine. P. Corneille a donné, en 1667, Attila, roi des Huns, tragédie en 5 actes (voy. Corneille), sujet traité de nouveau par un poëte contemporain, M. Hippolyte Bis, dont la pièce a été représentée, le 26 avril 1822, sur le second Théâtre-Français, et imprimée la même année. — J.-M. Barbieri, Modénois, a publié à Ferrare, 1568, in-8°, la Guerra d’Attila, flagello di Dio, ouvrage écrit d’abord en latin par Thomas d’Aquilée, traduit en provençal par Nic. Casola, et qu’il ne faut pas confondre avec une autre histoire du roi des Huns imprimée sans titre à Venise, 1472, in-4°. On peut consulter, sur ce dernier livre, devenu très-rare, le Manuel du libraire de Brunel, au mot Libro. — Enfin il existe sur Attila un poëme italien moderne dont voici le titre : Attila, flagellum Dei, tradotto della vera cronica per Rocce de Ariminesi Padovano, etc., Lucques, 1763, in-8°.