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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/394

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donner la chasse par ses sergents, et mit sous les verrous tous ceux qu’il put surprendre en flagrant délit de tapage nocturne, sans s’embarrasser de quelle juridiction ils relevaient. « Il arriva au mois de décembre (1566), que le jour de St-Nicolas, les écoliers de St-Nicolas du Louvre poussèrent les réjouissances de leur feste bien avant dans la nuit. Les archers du guet, faisant leur ronde de ce costé-la, en saisirent quelques-uns, qu’ils traisnèrent au Chastelet. Ceux qui se défendirent furent maltraités jusque dans leur propre collège, où les archers, sans aucun respect pour le lieu, commirent de grandes violences. l’université, sur la nouvelle de cette infraction de ses privilèges, demanda justice au roy contre le prevost de Paris ; et le roy rendit âne ordonnance, le 22 janvier de l’année suivante, par laquelle le prevost fut obligé de faire satisfaction au recteur et aux députez de l’université, en présence du roy et de son conseil, ce que tirent pareillement à genoux quatre sergens du Chastelet. » (Félibien.) Charles V plus avisé que son prévôt, aimait mieux le désavouer que de se mettre à dos le peuple bilieux de la Montagne. Mais l’université ne tint pas la réparation pour suffisante ; elle garda rancune à Aubriot, qui, de son côté, s’inquiétait peu de l’irriter davantage. Dès l’année suivante, il prétendit obliger les serviteurs de l’université à faire le guet dans la ville ; et il fallut, dit Crévier, que le roi interposât son autorité pour les en dispenser. En même temps, il continuait la guerre contre les écoliers, et faisait défense de leur vendre ou de leur prêter des armes sans sa permission expresse. Pour arrêter leurs incursions, il construisit le petit Chatelet au bout du pont St-Michel, y établit un corps de garde, et y fit creuser deux cachets, qu’il appelait par dérision le clos Bruneau et la rue du Foudre. Cette dernière offense porta à son comble la colère de sa puissante ennemie : sa perte fut arrêtée et jurée. La mort de Charles V, arrivée le 16 septembre 1580, et les embarras dont ce déplorable événement fut suivi, fournirent à l’université l’occasion qu’elle attendait depuis longtemps. Couvrant, comme de coutume, sa haine du manteau de la religion, elle lança contre le prévôt accusation d’impiété et de sorcellerie, la grande et banale accusation du temps ; se rendit partie, et le cita devant le tribunal de l’évêque Aimeric de Maignac, qui avait aussi un vieux compte à régler avec la prévôté. En effet, il n’avait pas oublié l’affront fait à Jean de Meulan, l’un de ses prédécesseurs, par le prédécesseur d’Aubriot, Jean de Dun. L’évêque de Paris avait alors le privilège de faire faire le guet autour de Notre-Dame, par les officiers de sa justice, la veille de l’Assomption. En 1363, le prévôt de Paris, ayant rencontré le guet de l’évêque dans la ville, l’avait désarmé et mis en prison. Depuis cette époque, les officiers du prélat étaient obligés de porter leurs armes dans des sacs jusqu’à la cathédrale, et de les rapporter de la même manière. Outre cette injure sanglante et qui criait vengeance, on avait contre le prévôt actuel des griefs de plus d’un genre : messire Aubriot n’était pas dévot ; il ne se confessait ni ne communiait régulièrement ; il n’aimait pas les clercs ; il avait sans cesse l’œil ouvert sur leurs empiétements, et ne négligeant aucune occasion de confisquer leurs privilèges au profit du roi. Qu’on se figure, si cela est possible, l’horreur qu’un tel homme devait inspirer aux gens d’Église. L’université, qui épiait depuis longtemps ses démarches, fit informer officiellement de sa vie, et découvrit que ses mœurs n’étaient pas régulières ; que, malgré ses soixante ans, il ne gardait pas très-exactement la foi conjugale, négligeant une épouse vertueuse, rendait aux juives leurs enfants, qu’on avait pris pour les baptiser de force. On sut que, se trouvant un jour aux côtés du roi, il avait osé lui dire que ses prédécesseurs avaient fait une grande folie en dotant les églises de tant de revenus : c’était plus qu’il n’en fallait pour le faire condamner au feu. L’université construisit sur ces bases un formidable réquisitoire dont le religieux de St-Denis nous a conservé la substance ; « Aubriot était enclin au libertinage, nous dit-il ; quelquefois il avait recours au sortilège pour faire triompher sa passion. D’autres fois, portant le déshonneur dans la maison d’autrui, il cherchait à séduire par des présents les femmes dont il entendait vanter la chasteté ; souvent aussi il emprisonnait les maris sans motif, afin d’être plus libre pendant ce temps de lâcher la bride à ses désirs effrénés. On le soupçonne aussi d’avoir entretenu des liaisons illicites avec des juives… Il témoignait pour le sacrement de l’eucharistie un mépris injurieux. Il demandait un jour à un sergent qu’il avait fait appeler, pourquoi il n’avait pas obéi plus tót à ses ordres ; celui-ci répondant qu’il avait été retardé par le pieux désir de voir le corps de Jésus-Christ entre les mains du prêtre : « Tu verras maintenant, lui dit plusieurs fois le prévôt, si ton Dieu saura te faire autant de bien que je pourrai te faire de mal. » Et en parlant ainsi il ordonna qu’il fût jeté dans un affreux cachet et mis « à la torture. Un autre jour, l’évêque de Coutances célébrait la messe dans le chevet de l’église de St-Denis ; lorsqu’on fut à l’élévation de l’hostie, un religieux pria le prévôt, qui se promenait autour du chevet, de se prosterner ; il répondit en jurant qu’il ne croyait pas au Dieu dudit évêque, qui, ajouta-t-il, ne bougeait point de la cour. Il avait laissé passer plusieurs années la fête de Pâques sans se confesser et sans communier, n’observant pas les devoirs de la religion catholique, témoignant publiquement son peu de respect pour le sacrement de pénitence, les clefs de l’Église, l’autorité du clergé, dont il refusait obstinément de suivre les avis...  » Notre religieux n’élève aucun doute sur la réalité des crimes imputés au prévôt ; il n’hésite pas à condamner l’ennemi de l’Église et de l’université ; mais, outre l’esprit de caste dont il n’était probablement pas exempt, il avait contre le prévôt des griefs particuliers dont il est bon de dire un mot. Les religieux de St-Denis avaient à Neuilly deux bacs dont ils tiraient un assez bon revenu. Aubriot, qui tranchait parfois du despote, fit