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tant des mœurs grossières, une libéralité excessive, de l’indulgence, et beaucoup de familiarité avec eux. De retour à Rome, il s’unit à Curion, et soutint comme lui avec chaleur le parti de César. Leur protection le fit créer augure et tribun du peuple. Il se rendit si odieux au sénat par quelques propositions hardies, qu’il jugea convenable de quitter secrètement Rome avec Curion et Cassius Longinus, déguisés comme lui en esclaves, et de chercher un asile dans le camp de César : cette démarche fut une des causes, ou, pour mieux dire, des prétextes de la guerre civile. Dans les troubles qui suivirent, Antoine fut nommé par César commandant suprême en Italie ; il s’efforça de plaire aux soldats beaucoup plus qu’au peuple, dont il ne songeait guère à venger les outrages. Il marcha ensuite sur la Macédoine à tête de ses troupes, par l’ordre de César, qu’il rejoignit à Dyrrachium avec un puissant secours. Il échappa aux amiraux de Pompée, commanda l’aile gauche à la bataille de Pharsale, et, après la victoire, revint à Rome avec le titre de général de la cavalerie et de gouverneur de l’Italie. Il eut une querelle avec Dolabella, tribun du peuple, et combattit son parti au milieu même du forum. Il acheta à vil prix les biens de Pompée, que personne ne voulait acquérir, par respect pour sa mémoire. Les débauches et les violences d’Antoine avilirent tellement son caractère, que César, à son retour, le traita froidement. Vers ce temps il épousa Fulvie, veuve de Clodius, et cette femme impérieuse lui fit sentir tout le poids de son autorité despotique. Quand César revint d’Espagne, Antoine recouvra sa faveur par l’adulation et les bassesses les plus honteuses, et devint son collègue dans le consulat, l’an 44 avant J.-C. Ce fut alors qu’à la fête des Lupercales, il se jeta aux pieds de César dans la place publique, et lui offrit deux fois un diadème que celui-ci refusa au milieu des applaudissements de la multitude. Les chefs du parti de la république demeurèrent persuadés que cette scène avait été préparée dans le but de sonder les sentiments du peuple et qu’elle serait renouvelée, et il se forma peu après une conspiration qui fit périr César. Antoine eût éprouvé le même sort sans l’intercession de Brutus, qui espérait le gagner au parti républicain ; mais on comprit bientôt que les autres conjurés avaient mieux jugé Antoine. Il montra dans cette occasion importante une éloquence et une profondeur de politique dont on ne l’eût pas cru capable, si on ne l’eût jugé que d’après les lettres et les harangues de Cicéron. Fort de l’affection que le peuple portait à César, il empêcha les sénateurs de le déclarer usurpateur en faisant agir sur eux le grand mobile de l’intérêt personnel. Le peuple avait été calmé par une harangue de Brutus ; Antoine, sachant combien tout ce qui frappe ses yeux agit vivement sur l’esprit de la multitude, exposa en public le corps de César sur un lit d’ivoire et de pourpre, avec sa robe sanglante, et prononça son oraison funèbre, qui rendit au peuple tous ses sentiments de haine et de vengeance. Les meurtriers furent obligés de s’enfuir de Rome. Shakspeare et Voltaire ont tiré un grand parti de cette situation vraiment dramatique. Antoine, sur de l’affection du peuple, et ménageant toujours avec adresse le sénat, gouverna quelque temps avec un pouvoir absolu, et ne cacha point son intention de succéder à César dans l’exercice de la souveraineté. Le pouvoir qu’en qualité de consul il tenait de la loi lui donnait de grands avantages pour la poursuite de ses plans ambitieux. L’orgueil qu’il en eut lui fit traiter le jeune Octave, héritier de César, de manière à lui faire embrasser le parti du sénat. Antoine alors essaya de le regagner, et les différentes factions eurent recours aux manœuvres de la politique. Enfin, après s’être plusieurs fois raccommodé et brouillé de nouveau avec Octave, qui désirait comme lui être à la tête de la faction de César, Antoine leva des troupes, se retira dans la Gaule cisalpine, dont le gouvernement lui avait été accordé, et mit le siége devant Mutina, aujourd’hui Modéne, que Décimus Brutus défendit vaillamment. Alors le sénat déclara Antoine ennemi public, et les deux nouveaux consuls, Hirtius et Pansa, accompagnés d’Octave, marchèrent contre lui. Antoine défit d’abord Pansa dans une action très-meurtrière ; mais Hirtius survint, et, malgré des prodiges de valeur, Antoine et ses soldats furent complétement battus, quoique les deux consuls eussent été tués. Cet événement mit à la tête de toute l’armée de la république Octave, à qui Pansa mourant avait donné le conseil de se réconcilier avec Antoine. Après sa défaite, Antoine fut forcé par Décimus Brutus de lever le siége de Mutina, et même de quitter l’Italie. Il éprouva, ainsi que ses troupes, de grandes fatigues et de cruelles privations en passant les Alpes : il les souffrit avec un grand courage, supportant mieux l’adversité que la prospérité. Arrivé dans les Gaules, il se rendit en suppliant au camp de Lépide, qui commandait alors en Provence ; mais bientôt, par son influence sur les troupes, il obligea ce général à se joindre a lui et à lui céder toute l’autorité. Plancus et Pollion vinrent aussi fortifier son parti de leurs soldats : ainsi Antoine, qui peu auparavant avait quitté l’Italie en fugitif, y rentra à la tête de vingt-trois légions et de 10,000 chevaux. Alors Octave, après avoir longtemps agi comme ami du sénat, jeta le masque, et, s’étant avancé au-devant d’Antoine et de Lépide, eut avec eux, dans une petite île formée par le Rhénus, aujourd’hui Rhéno, prés de Bologne, la fameuse entrevue ou ils se partageront le monde romain. Ce fut aussi là qu’ils arrêtèrent les plans de ces prescriptions sanglantes qui ont rendu leurs noms exécrables. Antoine insista surtout pour qu’on lui sacrifiât Cicéron. Il lui portait une haine implacable, en partie héréditaire, à cause de la condamnation de Lentulus, second mari de sa propre mère ; et en partie personnelle, à cause des fameuses Philippique : prononcées contre lui par l’orateur. Antoine, en échange de la tête de son ennemi, abandonna celle de son oncle, Lucius César. Les triumvirs se rendirent bientôt à Rome pour affermir leur usurpation et mettre à exécution leurs projets sanguinaires. Les rapines et le meurtre désolèrent cette ville et toute