Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 21.djvu/156

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les premiers principes de l’art qu’il a illustré, et qui, à cette époque, rivalisait avec l’école d’Otto-Vænius. Le désir d’étudier la peinture dans les lieux mêmes qui la virent renaître, le besoin de consulter les vrais modèles, tout engageait Jordaens à visiter l’Italie : l’amour le détourna de ce projet. Il devint épris de la fille de son maître ; et Van-Ort, satisfait de pouvoir récompenser les talents de son disciple, l’admit sans peine dans sa famille. De nouveaux liens l’attachèrent bientôt « sa patrie d’une manière plus intime. Il eut des enfants ; et il perdit jusqu’à l’idée de quitter désormais Anvers. Mais pour acquérir autant qu’il dépendait de lui les connaissances dont il sentait trop que son maître ne pouvait lui ouvrir les sources, il recherche avec avidité et étudia avec un soin extrême tous les tableaux des grands peintres italiens qu’il avait le bonheur de découvrir. Il s’appliqua particulièrement à l’étude des ouvrages du Bassan, du Caravage, du Titien et de Paul Véronèse ; et toutes les fois qu’un hasard heureux plaçait devant ses yeux un de leurs tableaux, non content d’une stérile admiration, il le copiait, afin d’avoir toujours présent le modèle de cette perfection vers laquelle tendaient tous ses efforts. Cependant on verra qu’il ne put guère s’élever au-dessus de la nature flamande, et qu’il ne prit chez ces maîtres que le relief des figures et la vérité de la couleur. Rubens s’était acquis une brillante réputation dans cette partie. Jordaens, loin d’en être jaloux, désirs devenir un de ses disciples ; et bientôt ses talents lui gagnèrent l’estime et l’amitié de ce grand peintre. C’est cette nouvelle école qu’il acquit cette vigueur de coloris, cette entente parfaite du clair-obscur qui lui ont assigné un rang distingué parmi les peintres flamands les plus célèbres. Doué d’une facilité de pinceau extraordinaire, Jordaens a fait un nombre prodigieux de tableaux. Sa facilité était telle, que son vaste paysage de Pan et Syrynx. dont les figures sont de grandeur naturelle, ne lui coûta que six jours de travail, quoique les détails en soient immenses. Sa réputation s’étendit bientôt hors de sa ville natale. Le roi de Suède Charles-Gustave lui commanda douze tableaux, représentant la Passion de Jésus-Christ, Il peignit dans le palais du Bois, près la Haye, pour la princesse Emilie de Solms, veuve du prince Frédéric-Henri de Nassau, le Triomphe allégorique de ce prince, tableau immense, où il le représenta sur un char attelé de quatre chevaux blancs, et entouré de trophées et de groupes symboliques. Philippe IV, roi d’Espagne, ayant demandé à Rubens des cartons pour des tapisseries qu’il avait le projet de faire exécuter à Madrid, ce grand artiste jeta les yeux sur Jordaens comme sur le peintre le plus capable de remplir les vues du souverain. Quelques historiens ont avancé que ce choix avait été dicté à Rubens par la jalousie que lui inspiraient les talents de son disciple. Il espérait, disent-ils, que, forcé de peindre ces cartons en détrempe, ce genre de peinture lui ferait perdre son aptitude pour la peinture à l’huile. Le caractère de Rubens dément une pareille assertion. On aurait dû plutôt voir dans ce choix la noble confiance du génie, qui ne craint pas d’associer à sa gloire un beau talent formé sous ses auspices. Il existe d’ailleurs une autre preuve de la fausseté de ce reproche. Il est reconnu aujourd’hui que le tableau de St-Bavon, qui était placé dans la cathédrale de Gand, et qui a fait partie du musée du Louvre, n’est point de Rubens, mais de Jordaens, quoiqu’il porte le nom du premier de ces deux peintres. L’esquisse même du tableau était de la main du disciple : le maître s’est contenté d’y indiquer, par des corrections au crayon rouge, les changements qu’il désirait voir adoptés dans le tableau, et s’il a mis la main à ce dernier ouvrage, c’est pour y déceler par les touches qui lui sont propres, la perfection inimitable de son pinceau. On a souvent attribué à Rubens un des plus grands tableaux de Jordaens, celui du maître-autel de Ste-Walburge, à Furnes, représentant Jésus-Christ ou milieu des docteurs. À une grande promptitude dans l’exécution, Jordaens joignait un vif amour pour le travail ; c’est ce qui explique la quantité innombrable d’ouvrages qu’il a exécutés. Il leur dut une fortune considérable, dont il faisait l’usage le plus noble et le plus désintéressé. D’une humeur vive et enjouée, il se livrait volontiers aux plaisirs de la société ; et c’est auprès de ses amis qu’il allait se délasser le soir des travaux de la journée. Il termina sa carrière à Anvers en 1678, à l’âge, de 84 ans, dix-neuf ans après avoir perdu Catherine Van-Ort, sa femme. Sa fille mourut le même jour que lui, et tous deux furent ensevelis dans l’église où il avait fait élever le tombeau de son épouse. Il n’est point de galerie un peu renommée qui ne possède quelques tableaux de ce peintre. Parmi les plus capitaux, on remarque l’Adoration des Bergers ; Jésus en croix pleuré par St-Jean et les trois Maries ; le Satyre à table ; Jordaens et sa famille ; un Cabinet de tableaux ; l’Éducation de Jupiter ; le Roi boit, composition de quinze figures ; une répétition du même sujet, composée de dix figures seulement ; le Concert de famille, tableau de huit demi-figures ; les Quatre Évangélistes, et enfin les Vendeurs chassés du temple, grande composition d’un effet admirable. Ces onze tableaux faisaient partie de la collection du musée du Louvre. Nous ne possédons plus que les quatre derniers, qui suffisent pour donner une juste idée du talent et des défauts de Jordaens[1]. Ce pein-


  1. Lors de la formation des musées dans les départements, il leur avait été envoyé un certain nombre de tableaux de Jordaens. La Visitation de la Vierge et une Adoration du bergers avaient été données au musée de Lyon ; le Jugement dernier ; la Vierge, l'Enfant Jésus et St Joseph, à celui de Strasbourg ; le Christ au milieu des docteurs et la Nativité au musée de Mayence ; la Christ sur la croix, à celui de Bordeaux ; la Pêche miraculeuse, à celui de Marseille ; et enfin le Christ sur la croix et la Sainte famille éplorée, à celui de Rennes. La plupart de ces tableaux ont été réclamés par les puissances alliées, et ils leur ont été rendus.