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motifs, éclatent dans cette publication. Il fut réélu, et revint encore il la session suivante. Le ministère était changé. Le duc de Richelieu et Lainé s’étaient retirés ; M. de Cases dirigeait la politique intérieure ; de Serres propos à les lois qui affranchissaient la presse. Camille Jordan, dont la santé se détruisait de plus en plus, qui portait le germe incurable du mal auquel ll devait succomber, profita de cette conformité du ministère avec ses opinions et ses vues pour prendre quelque repos ; il vota silencieusement pendant cette session. Après quelques mois, la situation des affaires devint plus grave qu’elle ne l’avait encore été. Le parti contre-révolutionnaire, vaincu et mécontent, conservait de profondes racines dans le gouvernement. Son intérêt au maintien de la dynastie ne pouvait être douteux, la sincérité de son affection n’était pas contestable, ll voulait user du pouvoir royal à sa guise et selon ses passions ; mais, au vrai, il ne songeait ni à le détruire ni à l’affaiblir. En même temps, un fond de métlance réciproque existait entre la majorité île la nation et la dynastie : l’une voyait toujours la révolution prete à renaître, désordonnée et sanglante, l’autre apercevait très-bien que ses libertés étaient un objet d’inquiétude ; que ses souvenirs récents étaient antipathiques ; que ses mœurs actuelles excitaient une invincible répugnance. Il y avait de part et d’autre une certaine conviction intérieure qu’on était incompatible ; les opinions révolutionnaires, les ambitions déçues, les vanités blessées, les enthousiasmes irréfléchis, le fanatisme des esprits faux puisaient dans cette disposition du public une force vraiment menaçante. Les élections de 1819, le choix de Grégoire, élu évidemment comme régicide, l’usage agressif de toutes les libertés constitutionnelles, manifestaient le péril aux yeux les moins clairvoyants. Quelques-uns pensaient qu’il fallait faire résistance ouverte au parti qui cherchait à renverser la dynastie par une révolution nouvelle ; mais en même temps ils voulaient qu’on donnàt toutes les garanties réclamées par les gens de bien et les hommes éclairés. La possibilité aetuelle d’une telle marche parut généralement douteuse ; les esprits n’étaient pas assez mûrs, assez rassis pour qu’on pût espérer l’appui de Poplnlon publique. lestaient deux «résolutions à prendre : emprunter l’appul du parti contre-révolutionnaire, sauf à le modérer, s’il était possible ; ou bien attendre que les fautes et les exagérations de l’autre parti lui tissent perdre sa popularité, et alors seulement commencer à lui résister. Camille Jordan et la plupart de ses amis virent plus de danger au premier objet qu’au second : ils résolurent de s’opposer de toutes leurs forces aux entreprises d’un ministère qui se rapprochait de la faction contre-révolutionnaire. Ils s’y décidèrent encore bien davantage lorsque l’assassinat du duc de Berry fut devenu l’occasion de la chute de ll. de Cases ; lorsque ll. de Richelieu fut rentré JOB

au ministère, déterminé dans son trouble à faire alliance avec lesvoyalistes. Ce fut pour soutenir cette lutte solennelle que Camille Jordan sacriila le repos de ses derniers jours ; il reparut à la chambre et se plaea ouvertement dans cette op sition où le général Foy et Casimir Périer fg : maient la limite et la transition entre les deux opinions libérales. Le grand combat s’engagea sur la réforme de la loi électorale. Camille Jordan proposa un amendement qui n’est autre que la loi rendue après 1850. Chaque arrondissement devait élire un député ; on échappait ainsi aux influences trop actives de l’esprit de parti et de l’intrigue, et l’on accroissait les influences locales plus calmes et moins menaçantes. La priorité de discussion fut obtenue pour l’amendement, son adoption eût été la chute du ministère, ou du moins la défaite du système politique qu’il adoptait. D’incroyables efforts et même, dit-on, des suffrages achetés procurèrent *une majorité de cinq voix contre l’amendement. Aussitôt après la session, le ministère de M. de Richelieu consomma son alliance avec le parti contre-révolutionnaire, se séparant de tous ceux de ses anciens amis qui s’étaient opposés in la nouvelle loi d’élection et à la marche suivie par le gouvernement-C’était contre Camille Jordan que l’irritation était la plus vive. Il connaissait peu l’art des ménagements ; sa bonne conscience ne lui laissait pas de scrupule ; il allait toujours au dernier terme de son opinion. Pendant les troubles du mois de juin 1820, les députés étaient insultés par les gardes du corps et les jeunes gens royalistes, tandis qu’en même temps l’émeute populaire menaçait le gouvernement. De vives discussions reproduisaient à la chambre ces scènes de guerre

civile. Camille Jordan y fut sévère pour la police ; le ministère lui reprochait d’avoir moins songé à l’ordre public qu’au respect du à la représentation nationale. Il fut rayé du conseil d’État, où il avait été appelé en 1817 ; on voulut même donner à ce qu’on avait la prétention d’appeler sa disgràee quelque chose de plus marqué que pour Royer-Collard et les autres conseillers d’État de l’apposition. Il reçut cette atteinte avec un grand calme, regrettant seulement que M. de Serres, son ami, son compagnon d’opinions, se fût chargé de cette mesure. À la session suivante, en 1821, Camille Jordan était devenu si faible et si souffrant qu’il ne pouvait suivre les séances. Il n’y parut guère qu’une fois, pour effrayerlbouis XVIII, ou plutôt pour fournir au parti alors dominant l’occasion d’exiger des mesures de police et de persécution. D’officieux valets avaient fait éclater un pétard d’artifice près de l’appartement du roi ; le secret de cet ignoble complot ne fut pas connu tout de suite, et il fut question à la chambre des députés de- présenter une adresse. Camille Jordan se tit transporter au comité secret où elle se discutait : ce fut son dernier discours, c’est la dernière fois que sa voix a été entendue en public ; ll fut aussi