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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 21.djvu/442

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4. Affirmation ou réalité ; 5. négation ou privation ; 6. limitation. La classe de la relation comprend les notions corrélatives : 7. de substance et d’accident ; 8. de causalité, ou loi de cause et d’effet ; de communauté, ou loi d’action et de réaction. Enfin, sous la rubrique de modalité, sont rangées les catégories : 10. de possibilité et impossibilité ; 11. d’existence et non-existence ; 12. de nécessité et contingence. Quel que soit l’objet que nous apercevions, si sa représentation doit entrer dans la série de nos connaissances, il faut nécessairement que nous lui appliquions au moins, quatre catégories à la fois, prises dans les quatre différentes classes. Toutes nos conceptions, tous nos jugements subissent la même loi. Enfin, les formes de la raison, qui réunit, combine les conceptions élaborées par l’entendement, formes que Kant nomme idées pures, sont : l’idée de l’unité absolue ou de l’être simple (idée psychologique) ; l’idée de la totalité absolue (idée cosmologique) ; l’idée de la réalité absolue, de la cause première (idée théologique). Ces idées n’ont, dans le système de Kant, d’autre pouvoir ni d’autre but que ceux d’exciter l’homme à ne pas s’arrêter aux causes prochaines, à remonter persévéramment et sans interruption, de chaînon en chaînon, aux plus éloignées, à en prolonger indéfiniment la chaîne, à étendre incessamment ses observations et ses recherches, à ne jamais les croire assez complètes, ni leur ensemble assez lié et assez vaste, ni leur application assez utile et assez variée. Ici se séparent de Kant quelques-uns de ses plus illustres disciples. Au lieu d’attribuer à un besoin de sa raison les opérations par lesquelles l’homme pose l’unité intérieure ou l’âme, l’unité extérieure ou la matière, et s’élève enfin à l’unité absolue, fondement de tout ce qui est contingent, ils voient dans la notion de l’absolu une véritable aperception, et pensent que la raison aperçoit l’absolu, l’être fondamental, le principe réel et primitif de tous les phénomènes, aussitôt qu’elle aperçoit le relatif et le variable, c’est-à-dire le phénomène. Ne se contentant pas de cette réalité humaine et subjective que Kant avait assignée à l’homme comme son vrai patrimoine, ils ont voulu pénétrer dans le champ qui, d’après les principes kantiens, lui est interdit. Aussi les adhérents purs de ces principes reprochent-ils aux écoles de Fichte et de Schelling de méconnaître les limites que la philosophie critique avait posées, et de rendre à la raison spéculative sa confiance en ses efforts ambitieux et en ses conquêtes transcendantes, dont la Critique avait, selon eux, démontré la vanité et la folie : car si nous admettons, disent-ils, comme exacte l’analyse des facultés intellectuelles qui y est exposée, et dont les principes fondamentaux ont été adoptés par les auteurs mêmes des nouvelles hypothèses, il est évident que le seul produit qui puisse résulter de l’exercice de ces facultés est un monde d’apparences, de phénomènes, qui est

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entièrement subjectif, et dont il est impossible de dire s’il ressemble en aucune manière au monde réel des choses en elles-mêmes (c’est-à-dire considérées dans leur existence absolue et indépendante de notre mode de nous les représenter), des noumènes, que nous n’avons aucun moyen d’apercevoir tel qu’il est. Nous en recevons des impressions, mais ces impressions, accueillies d’abord par notre faculté de sentir, se revêtent de ses formes, l’espace et le temps, deviennent des objets étendus, des corps, etc. Ces formes ont sans doute de la réalité pour nous, et les choses en sont pour nous réellement empreintes. Tel le cachet qui ne pourrait se trouver en contact avec de la cire sans y laisser empreinte la tête de Minerve ne verrait jamais, s’il nous est permis de lui prêter le sentiment, la cire sous une autre apparence que celle d’une matière offrant à sa surface la tête de Minerve. Mais si le cachet se figurait que la cire ne peut exister que sous cette forme ; si le miroir plan s’imaginait que les objets qui s’y réfléchissent sont en eux-mêmes sans profondeur ; si le miroir cylindrique leur supposait inhérente une configuration ovale prodigieusement allongée, ils commettraient tous l’erreur manifeste de confondre la réalité subjective et phénoménale avec la réalité objective et absolue. À ces impressions revêtues de la forme qui provient de notre sensibilité, notre entendement donne, pour ainsi dire, une façon nouvelle ; il les soumet à des lois générales, qui sont les siennes propres, et nous les offre comme liées ensemble par la loi de cause et d’effet, ou par celle d’action et de réaction, enfin par les autres lois comprises sous les douze catégories. On tomberait dans une erreur grave en supposant que ces qualités virtuelles qui, selon Kant, sont des dispositions innées ou primitivement inhérentes à notre organe cognitif, ressemblent aux idées innées telles que les a conçues Platon et après lui Descartes, ou à celles que Locke s’est forgées pour les combattre. La manière dont Leibnitz les a entendues dans ses Nouveaux Essais se rapproche seule des formes pures et virtuelles de Kant. La raison spéculative ou théorique s’emparant enfin des impressions modifiées par l’entendement, et nous les présentant (à l’aide de la notion de l’infini tirée des formes de son activité) comme des réalités absolues ou comme un tout absolu, les élève au rang d’idées, dans le sens que Platon avait donné à cette expression, et que Kant lui a rendu. Dans ce système, la raison n’ajoute rien aux impressions, absolument rien qui nous fournisse les matériaux d’un pont à jeter sur l’abîme ouvert entre le monde phénoménal ou subjectif et le monde objectif ou des choses en elles-mêmes. En voulant le franchir par un vol transcendant, elle se consume en vains efforts, et s’irritant d’être attachée à des sens et à des perceptions qui entravent son essor, elle offre, pour me servir d’une comparaison de Kant,