Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/255

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pas le sens absolu qu’on est parvenu à leur prêter en les modifiant. Il eût fallu pousser la naïveté un peu loin pour croire que la liberté était fille de la monarchie, et qu’elle ne pouvait vivre détachée de sa mère. Du reste, le député de Maine-et-Loire attachait un tel prix à la liberté, que, lorsqu’il s’agit de consacrer les couleurs nationales, il proposa d’inscrire sur les drapeaux : La liberté ou la mort, c’est-à-dire : Vivre libre ou mourir. Larevellière siégeait sur les bancs de l’extrême gauche, et la part active qu’il prit aux délibérations, lui valut l’honneur d’être appelé au bureau en qualité de secrétaire. Cependant, tout en gardant invariablement sa ligne de conduite, Larevellière ne prit part à aucune cabale et ne fut jamais l’homme d’aucun parti. Dès les premières réunions des états généraux, il avait remarqué dans la foule la noble et imposante figure d’un vieillard, qui lui inspira tout d’abord un attrait irrésistible : c’était celle d’un député de la Picardie, ancien officier d’artillerie, nommé Pincepré de Buire, arraché à sa retraite des environs de Péronne, où il s’occupait à la fois d’agriculture et de bienfaisance. Larevellière se lia bientôt avec lui d’une étroite amitié. À la fin de la session, les membres de l’assemblée constituante, entraînés par une générosité irréfléchie dont les premiers temps de la révolution n’offrent que trop d’exemples, s’étaient déclarés non rééligibles. Pour les deux collègues qui allaient regagner chacun sa province, la séparation pouvait donc paraître définitive. Sans être un génie politique, de Buyre, que sa vieille expérience mettait à l’abri des illusions du jeune âge, avait dès lors le pressentiment des malheurs qui se préparaient pour la patrie. La rancune implacable des anciens privilégiés, la mauvaise foi de la cour, justifiée d’avance par les casuistes, enfin la violence croissante des passions déchaînées, tout conspirait à assombrir l’horizon. Éclairé sur l’avenir par son patriotisme sincère, de Buyre fit part de ses craintes à Larevellière, qu’il tutoyait comme un fils : « La révolution, lui dit-il, n’est pas finie, elle commence à peine ; je connais ton attachement à la liberté, et, en même temps, ton caractère inflexible ; que le parti de la cour ou le parti populaire l’emporte, il y aura des vengeances et des proscriptions. Tu ne sauras ni plier ni dissimuler, tu seras proscrit par les exagérés d’un parti ou de l’autre ; jure-moi de venir me demander asile ou renonce aujourd’hui et pour toujours mon amitié. » Larevellière, plein d’espérance dans le peuple, était loin de partager ces noirs pressentiments ; il promit donc sans difficulté, croyant satisfaire seulement à la sollicitude excessive d’un ami. Pendant la durée de l’assemblée législative, Larevellière, entouré d’une popularité croissante parmi les patriotes de l’Ouest, fut d’abord envoyé comme juré a la haute cour nationale d’Orléans, puis nommé membre de l’administration centrale de Maine-et-Loire. Enfin, au moment où il fut élu à la convention par ce département, il venait d’être désigné comme adjudant général des gardes nationales mobilisées vers les frontières du Nord et dans la Vendée. Depuis quelque temps déjà, une sourde fermentation régnait dans cette province, demeurée paisible jusqu’à la constitution civile du clergé ; avant cette mesure, les populations de l’ouest avaient été aussi favorables à la révolution que celles du reste de la France ; elles avaient vu tomber avec satisfaction le régime féodal, et les gabelles, le plus vexatoire des impôts, et ce cortège d’abus de toute nature qui caractérisait l’administration du bon vieux temps. Les rigueurs exercées contre le clergé non assermenté leur parurent, au contraire, une atteinte portée à leurs croyances ; dès lors, elles changèrent de sentiment et prêtèrent à la contre-révolution un appui que la royauté et la noblesse leur eussent vainement demandé pour le maintien de leurs privilèges. Pour conjurer l’explosion des hostilités, Larevellière entreprit, dans les parties de l’Anjou qui ont ensuite pris part à la guerre, des tournées patriotiques, qui ne furent pas toujours exemptes de dangers et où ses exhortations et celles de ses amis n’eurent qu’un faible succès. Larevellière arriva à la convention avec ses deux amis intimes, Pilastre et Leclerc, députés comme lui à cette assemblée, et qui avaient siégé comme suppléants à la constituante. Leurs convictions étaient également acquises à la république ; mais au lieu de se trouver aux premiers rangs du parti révolutionnaire, comme aux jours où les députations de la Bretagne et de l’Anjou avaient fondé la première société des jacobins (où l’on ne visait pas au delà de la monarchie constitutionnelle), ils se trouvaient en face d’hommes en grande partie nouveaux pour eux, avec lesquels ils avaient pu se trouver d’accord jusqu’au 10 août inclusivement, mais avec lesquels aussi les plus violents dissentiments ne pouvaient tarder à éclater. Dès les débuts de la convention, l’antagonisme s’établit entre la députation de Paris, qui devint le noyau de la Montagne, et celle de la Gironde le point d’appui de l’opinion des départements, qualifiée de fédéraliste. Sans prendre part d’abord à la lutte, Larevellière concourait aux représailles que la France révolutionnaire exerçait contre les manifestes de la coalition, et c’est sur sa proposition ou sur son rapport que fut rendu le décret de la convention portant que le peuple français viendrait en aide à tous les peuples qui, secouant le joug du pouvoir arbitraire, voudraient recouvrer leur liberté. Dans le procès de Louis XVI, qui passait, aux yeux de tous les partisans de la révolution, pour avoir été en état de conspiration flagrante contre la constitution de 9l depuis le jour où il l’avait jurée, Larevellière, plus convaincu que personne de cette idée, ne voulut tenir aucun compte des circonstances qui pouvaient atténuer la conduite du roi aux