Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/335

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que issu de parents illustres, être voué à l’infortune et à l’obscurité ; mais une providence tutélaire lui ménagea des amis et des protecteurs. La famille de M. Laroche, officier de santé, prit soin de son enfance et de son éducation, qui fut dirigée vers la théologie parce qu’on le destinait à l’état ecclésiastique. Un négociant de sa ville natale, M. Malepeyre, dont il aimait à rappeler le nom, lui inspira de bonne heure le goût le plus vif pour l’histoire naturelle en lui prêtant des livres qui traitaient de cette science. il avait seize ans quand le baron d’Espagnac, gouverneur des Invalides, le fit venir à Paris, et le plaça au collège du cardinal Lemoine, où il eut le bonheur de s’attirer la bienveillance du célèbre Haüy. Privé, peu de temps après, par la mort de M. d’Espagnac, de ce Mécène qui, en lui portant une affection de père, ne faisait qu’obéir à la voix de la nature, il redevint pour ainsi dire orphelin, mais trouva cependant un nouvel appui dans une sœur du défunt, la baronne de Puymaretz, dans ses neveux, M. Charles d’Espagnac surtout, ainsi que dans la famille qui l’avait adopté dès le berceau. En 1786 il se retira dans sa province, et y consacra tous ses loisirs à des recherches sur les insectes. Dans un voyage qu’il fit à Paris deux ans après, il se lia avec Olivier, Bosc et le célèbre Fabricius. Quelques plantes curieuses dont il fit hommage à Lamarck lui procurèrent aussi la connaissance de ce grand naturaliste, dont plus tard il devait être l’ami, le suppléant, le collègue et le successeur. Un mémoire sur des insectes de 1`ordre des hyménoptères, qui portent le nom de mutilles, lui valut en 1791 le titre de correspondant de la société d’histoire naturelle de Paris, et peu de temps après celui de correspondant de la société linnéenne de Londres. À la même époque il rédigea quelques articles de la partie entomologique de l’Encyclopédie méthodique. Tels furent ses débuts dans la carrière des sciences naturelles. Jusque-là ces sciences ne l’avaient occupé que d’une manière très-secondaire. Attaché aux fonctions ecclésiastiques, il ne pouvait se livrer à l’ardeur de ses goûts favoris sans compromettre ses devoirs. La révolution, en détruisant les faibles ressources qu’il devait à son état, vint le forcer à faire, de ce qui n’avait encore été pour lui qu’un délassement, une ressource contre les besoins de la vie, et, en lui imposant la nécessité de se créer une nouvelle carrière, le mit en quelque sorte à la place que la nature lui avait assignée par le penchant qui l’entraînait vers elle. Condamné à la déportation comme ecclésiastique, il y échappa, grâce aux soins de MM. Dargelas, Bory Saint-Vincent et Martignac, envers lesquels il s’est plu depuis à proclamer sa reconnaissance dans un de ses ouvrages. La circonstance dont ils profitèrent pour obtenir sa délivrance est curieuse. Pendant sa détention, il fit présenter un insecte rare (necrobia ruficollix) à l’un des proconsuls en mission à Bordeaux ; et cet homme, grand amateur d’entomologie, s’intéressa au prisonnier, qui recouvra bientôt la liberté. Proscrit de nouveau comme émigré en 1797, il eut encore le bonheur d’être soustrait à la mort par l’estime de ses concitoyens et les sollicitations de quelques personnes, entre autres du général Marbot, qui avaient alors de l’influence. De retour à Paris l’année suivante, Latreille trouva des secours dans l’amitié de M. Antoine Coquebert et dans celle de sa famille. Bientôt après, il fut nommé correspondant de l’Institut, et obtint d’être employé au Muséum d’histoire naturelle, où on le chargea de l’arrangement méthodique des insectes. Pendant près de trente années que dura cette position inférieure, dont un mérite moins modeste que le sien aurait dû souffrir, il publia une longue série d’ouvrages, Qi n’ont pas tous, à beaucoup près, la même valeur, mais dont quelques-uns lui ont, de l’aveu général, assigné un rang parmi les plus grands naturalistes modernes. Fabricius l’avait placé au nombre des législateurs de l’entomologie et immédiatement après Linné, témoignage d’autant plus honorable que le savant Suédois aurait pu, sans choquer l’opinion, se mettre lui-même en première ligne. Personne, en effet, n’a plus approfondi que Latreille le système de Linné. Il l’a éclairci, en outre, par des recherches sur diverses parties de l’organisation extérieure des insectes, et surtout par l’étude de leurs mœurs ; aussi ceux qui, depuis, se "sont plus occupés de leur anatomie intérieure ont-ils remarqué que, sous ce rapport, les familles établies par lui étaient en général parfaitement naturelles. Nommé membre de l’institut en 1814, il n’obtint la décoration de la Légion d’honneur qu’en 1821 ; et en 1829, à la mort de Lamarck, on lui confia l’une des deux chaires créées par le dédoublement de celle que possédait cet illustre vieillard. Il fallut tout l’empire de Cuvier pour l’établir dans un poste qu’il ne pouvait plus remplir avec le même éclat qu’il l’aurait fait vingt ans auparavant ; mais une trop longue injustice avait été commise envers l’un des hommes dont la France devait s’honorer, pour que la réparation se fit attendre davantage. Aussi bien était-il tard. « On me donne du pain quand je n’ai plus de dents, » disait Latreille à l’auteur de cet article dans les épanchements de l’amitié. En effet, il ne jouit pas longtemps de cette récompense d’une vie laborieusement et glorieusement écoulée dans la gène. La mort l’enleva le 6 février 1855. Sa constitution délicate lui avait imposé de dures privations, ce qui lui rendit moins pénible la situation précaire dans laquelle la fortune et l’oubli des hommes puissants l’avaient laissé languir. La douceur de son caractère, son inépuisable bienveillance et son manque presque total d’énergie morale ne lui permettaient pas de rien tenter pour améliorer son sort, et, sans l’appui de Cuvier, qui n’avait pas toujours besoin d’aimer un homme de mérite pour cher-