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pour empêcher la violation de la loi, et demanda hautement le maintien de la constitution. Aussi refusa-t-il d’abord de se rattacher au gouvernement consulaire. Mais Bonaparte, qui avait été témoin de son énergie et qui appréciait son mérite, ne l’en nomma pas moins président du tribunal d’appel, depuis cour impériale de Douai. Lenglet conserva ses fonctions sous la restauration et sous le gouvernement de juillet ; il mourut en 1855, avec la réputation d’un magistrat intègre et consciencieux, laissant un fils qui a été membre de l’assemblée constituante de 1848 et est aujourd’hui conseillera la cour d’appel de Douai. On a de lui : 1° Essai ou Observations sur Montesquieu. Paris, 1792, in-8° ; 2° Expliquons-nous. ou Réflexions sur la liberté de la presse, sur le gouvernement révolutionnaire, sur la souveraineté du peuple, sur les jacobins et les insurrections. in-8° ; Rêveries diplomatiques après la prise de la Hollande. in-8° ; 4° Essai sur la législation du mariage, suivi d’observations sur les dernières discussions du conseil du Cinq-Cents concernant le divorce, 2e édition, an 5, in-8° ; 5° De la propriété et de ses rapports avec les droits et avec la dette du citoyen, Paris, an 6, in-8° ; 6° Essai sur les rapports et la distribution des différentes parties du Code civil, du Code rural, du Code de commerce et du Code judiciaire, Paris, an 12. in-8° ;

Introduction de l’histoire, ou Recherche sur les dernières révolutions du globe et sur les plus anciens peuples connus. 1812, in-8°.

Z.


LENGLET DUFRESNOY (Nicolas), né à Beauvais le 5 octobre 1674, fit ses études à Paris. Il était encore sur les bancs de l’école et dans sa seconde année de théologie, lorsqu’à l’âge de vingt-deux ans il débuta dans la carrière des lettres par un opuscule qui lit quelque bruit. D’autres écrits qu’il publia sur des matières analogues donnaient lieu de croire qu’il se livrerait à la théologie, quand les circonstances le lancèrent dans la carrière diplomatique. En 1705, il fut premier secrétaire, pour les langues latine et française, de la cour de l’électeur de Cologne, Joseph-Clément de Bavière, qui résidait à Lille. Se trouvant dans cette ville lorsqu’elle fut prise par le prince Eugène, Lenglet lui demanda et en obtint un sauf-conduit pour tout ce qui appartenait à la couronne électorale. Sa position lui donna occasion de déjouer les projets de quelques ennemis de la France. « La découverte la plus importante qu’il fit, dit Michault, fut celle d’un capitaine des portes de Mons, qui devait livrer aux ennemis non-seulement la ville (Lille), mais encore les électeurs de Cologne et de Bavière qui s’y étaient retirés... Le traître fut convaincu et rompu vif. » Le même Michault raconte qu’en 1718, lors de la conspiration de Cellamarre (voy. Cellamarre), Lenglet Dufresnoy fut choisi par le ministère pour pénétrer cette intrigue. Il ne voulut se charger, dit-on, de cette commission peu délicate que sur la promesse qui lui lut faite qu’aucun de ceux qu’il découvrirait ne serait puni de mort. Ce serait donc en qualité de mouton qu’il aurait été mis à la Bastille dès le mois de septembre 1718, comme prévenu d’avoir fabriqué, au nom du parlement, un mémoire au duc du Maine. C’était la première fois qu’il habitait cette prison. On raconte qu’il y fut mis dix ou douze fois ; il y a erreur au moins de moitié. L’abbé Lenglet fut conduit à la Bastille pour la seconde fois en 1725, pour la troisième en 1743, pour la quatrième en 1750, à cause de son Calendrier historique ; pour la cinquième et dernière fois en 1751, parce qu’il avait écrit au contrôleur général une lettre qu’on trouva insolente[1]. Sur la fin de l’année 1721, il était allé à Vienne ; il y vit J.-B. Rousseau, et le prince Eugène, à la bibliothèque duquel il fit quelque augmentation. Son séjour en Autriche avait offusqué la cour de France ; et à son retour, en 1723, il fut arrêté et détenu six mois dans la citadelle de Strasbourg. Il paraît qu’en 1724, il fut pendant quelque temps enfermé à Vincennes. Toutes ces contrariétés ne l’empêchèrent pas de se livrer au travail et à des recherches minutieuses. Sa fécondité a de quoi étonner. « ll eût, dit Michault, joui d’un destin plus heureux, selon notre façon de penser, et non selon la sienne, s’il eût voulu ou plutôt s’il eût pu profiter des circonstances heureuses où il s’était trouvé, et des protecteurs puissants que son mérite et ses services lui avaient acquis ; mais son amour pour l’indépendance étouffa dans son cœur la voix de l’ambition… Il voulait écrire, penser, agir et vivre librement. Il dépendait de lui de s’attacher ou au prince Eugène, ou au cardinal Passionei, qui aurait désiré de l’attirer à Rome ; ou à M. Leblanc, ministre de la guerre. Il refusa tous les partis qui lui furent proposés : Liberté, liberté, telle était sa devise. Dans ses dernières années même où son grand âge sollicitait pour lui un loisir doux et tranquille, il aima mieux travailler et rester seul dans un logement obscur, que d’aller demeurer avec une sœur opulente qui l’aimait et qui lui offrait chez elle, à Paris, un appartement, la table et des domestiques pour le servir... Toutes ses études étaient tournées du côté des siècles passés ; il en affectait jusqu’au langage gothique : Je veux, disait-il, être franc Gaulois dans mon style comme dans mes actions. Malgré sa vaste érudition, il est tombé dans des erreurs grossières. On l’accuse même d’avoir trompé aussi souvent qu’il se trompait, ne se faisant aucun scrupule d’écrire le contraire de sa pensée et de la vérité qu’il connaissait parfaitement, lorsqu’il était poussé par quelque motif particulier. On retrouve dans ses notes et « dans ses jugements la mordante causticité de

  1. On ajoute qu’accoutumé aux visites des officiers de la police, et en connaissant d’avance les motifs, il demandait tranquillement à sa servante sa boîte de tabac et une chemise, puis se retournant vers l’alguazil : « Monsieur Tapin, disait-il, je suis à vos ordres ».