Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 26.djvu/632

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été leur souveraine, les ambassadeurs de France s’employèrent en sa faveur avec un zèle si ardent, qu’Blisabeth résolut de se débarrasser de leurs instances, en les compromettant eux-mêmes. Stafford, frère de son ministre à la cour de France, eut ordre de les aboucher avec un malheureux détenu pour dettes, qui, moyennant une somme modique, offrait d’assassiner la reine. Les envoyés français rejetèrent cette proposition avec horreur : on osa cependant arrêter et interroger un secrétaire d’ambassade. Mais tous avaient également pressenti le piège ; et leurs réponses furent si catégoriques et si éclatantes, que l’on n’osa pousser plus loin cette odieuse intrigue. Ne pouvant plus approcher la reine, qui feignait d’être malade de chagrin, le président de Bellièvre lui adressa deux mémoires en faveur de la grande victime que l’on s’apprêtait à immoler. Ces plaidoyers sont curieux : selon le goût du temps et selon le goût d’Elisabeth elle-même, les citations de la Bible y sont entassées à côté des citations des anciens. Tant d’efforts furent vains, et bientôt l’ambassadeur n’eut plus à faire à son maître que le récit de la sanglante catastrophe qui termina une lutte trop inégale entre une reine toute-puissante et une prisonnière réduite à user de subterfuges. La sentence de mort rendue, il fallait encore le warrant de la reine pour l’exécution ; mais toujours fidèle à son plan de se parer des dehors de la clémence, elle chargea le secrétaire d’État Davison de sonder de nouveau Paulet pour savoir si, Marie étant condamnée, il ne consentirait pas à la faire périr en secret. Paulet refusa encore. « Voilà, s’écria-t-elle, un homme bien incommode avec sa probité ! » Alors, selon le propre témoignage de Davison, Elisabeth, oubliant qu’elle est fille d’une reine qui a péri sur l’échafaud, lui demande le warrant, le signe gaiement et lui ordonne d’y faire apposer le grand sceau d’Angleterre. « Allez, ajouta-t-elle en souriant, apprendre cette nouvelle à Walsingham ; mais comme il est malade, j’ai peur qu’il n’en meure de chagrin. » Plaisanterie affreuse : Walsingham était connu par son acharnement contre Marie. Les commissaires nommés pour assister à l’exécution se rendirent au château de Fotheringay. Marie allait se coucher, elle était à demi déshabillée : elle reprit son manteau et fit ouvrir la porte de sa chambre. On lui signifia qu’elle eût à se tenir prête pour le supplice le lendemain matin. « Je remercie Dieu, répondit-elle avec douceur, de ce qu’il lui plaît de mettre un terme à tant de misères et de calamités que j’endure depuis dix-neuf ans! » Le comte de Kent, protestant fanatique, lui déclara sans détour que sa mort était nécessaire au progrès du nouveau culte. Marie saisit évidemment cette idée ; une pieuse espérance, une joie chrétienne éclatèrent dans ses yeux : « Ainsi donc, s’écria-t-elle, j’aurais le bonheur de mourir pour la religion de mes pères ! Dieu daignerait m’accorder la gloire du martyre! » Elle défendit à ses filles d’honneur de pleurer, et passa dans son oratoire, d’où elle revint au bout de deux heures : « Mes chères amies, dit-elle, quand le corps est abattu, l’esprit a moins de fermeté ; il est bon que je prenne un peu de nourriture et de repos. » Elle mangea une rôtie au vin, puis se jeta sur son lit, où elle dormit paisiblement. À son réveil, elle écrivit au roi de France pour lui recommander tous ses serviteurs. Elle prit une robe de velours noir qu’elle s’était réservée, en observant qu’il était convenable que, dans une aussi grande solennité, elle fût vêtue d’une manière conforme à son rang. « Jurez-moi, dit-elle à ses filles d’honneur (les quatre Maria), que vous allez vous réfugier en France : vous savez comme j’aimais toujours ce pays ! on m’y pleurera pendant que je serai heureuse. » Elle se retira encore dans son oratoire, pour y communier avec une hostie consacrée que le pape Pie V lui avait fait remettre autrefois, afin qu’elle s’en servit en cas de nécessité. On frappa rudement à la porte : ses femmes désespérées perdirent la tête et voulurent faire résistance. La reine leur commanda d’ouvrir, et les commissaires entrèrent. Elle prit dans sa main un petit crucifix d’ivoire et les suivit : ce crucifix irrita le féroce comte de Kent ; il la traita de superstitieuse et d’idolâtre. Elle demanda derechef un prêtre catholique, on le lui refusa ; on voulut même empêcher ses femmes de l’accompagner pour lui rendre les derniers devoirs. Alors, reprenant toute sa dignité : « N’oubliez pas, dit-elle aux commissaires, que « j’ai été reine de France, que je suis petite-fille de Henri VII et cousine de votre reine! » Au bas de l’escalier, elle trouva son maître d’hôtel, Melvil[1], dans les convulsions du désespoir. Elle lui reprocha son peu de fermeté ; et comme elle avait de la peine à marcher, à cause d’un mal de jambe, elle lui dit en souriant : « Aidez-moi, mon bon Melvil : encore ce petit service! » À l’extrémité d’une grande salle basse était dressé l’échafaud ; on y voyait un fauteuil, un coussin, et le fatal billot : tout était tendu de noir. En apercevant la hache de l’exécuteur : « Ah ! s’écria Marie, que j’eusse bien mieux aimé avoir la tête tranchée avec une épée à la française! » Les sanglots de ses femmes éclatèrent : « Mes chères amies, dit Marie en posant le doigt sur sa bouche, j’ai répondu de vous ; il faut que vous sachiez vous vaincre. » S’avançant ensuite, et parcourant d’un œil assuré la foule des spectateurs, qui étaient au nombre de près trois cents, elle prit le souverain Juge à témoin de son innocence sur les deux grands chefs d’accusation portés contre elle : l’un, d’avoir été

  1. Il ne faut pas confondre cet André Melvil avec Jacques Melvil, qui a laissé des mémoires. Ce dernier était ambassadeur de Marie Stuart en Angleterre, et il recevait une pension secrète d’Elisabeth ; aussi faut-il le lire avec précaution.