Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/212

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Il ne faut pas demander si l’apparition d’une femme riche, brillante, en crédit, aimant à se poser protectrice des lettres et à produire les jeunes talents, excita là verve des versificateurs lyonnais. Michaud fut un de ceux qui adressèrent leurs rimes à la grande dame, et il eut le bonheur de les voir accueillies. Assuré de trouver sous ses auspices à Paris une position analogue à ses goûts, il la suivit dans la capitale, où bientôt il publia quelques opuscules qu’il semble avoir eus en portefeuille, et où il ne tarda pas à devenir un des collaborateurs de Cerisier, qui rédigeait la Gazette universelle, et d’Esménard, rédacteur du Postillon de la guerre. Ces deux journaux, on le sait, étaient dans le sens de la cour, qui en subventionnait la rédaction, et ils soutenaient le système politique dit des Feuillants. Lafayette alors marchait d’accord avec le cabinet de Louis XVI. Ces circonstances donnèrent à Joseph Michaud l’idée de demander et d’obtenir pour son frère Louis-Gabriel (voy. l’article suivant), qui se trouvait comme officier à l’armée de Lafayette, un emploi dans l’état-major de ce général. Ainsi placé à la source des nouvelles, Michaud jeune eût fourni sans se déranger, aux rédacteurs du Postillon de la guerre, un bulletin presque officiel des opérations de l’armée. Tout était arrangé et convenu à cet égard quand survinrent la révolution du 10 août 1792 et la fuite de Lafayette. Les malencontreux collaborateurs du journal constitutionnel se cachèrent leurs bureaux furent envahis par la populace, bouleversés et pillés. On y trouva une lettre de Lafayette qui fut, aux yeux des pouvoirs de l’époque, une nouvelle preuve d’intelligences coupables, qui acheva de compromettre Joseph Michaud. Au bout de quelque temps cependant, c’est-à-dire après la fin des massacres de septembre et quand la convention constituée ne s’occupa guère que de Louis XVI, il osa reparaître, mais il crut prudent de ne pas parler avec la même franchise que par le passé. On l’a même accusé de palinodie, parce que dans un petit poëme de dix pages, Ermenonville, ou le tombeau de Jean-Jacques, il prodigua des louanges à l’auteur du Contrat social. Mais ces louanges sont encore plus littéraires que politiques, et pour apprécier son langage dans cette pièce et quelques autres phrases qu’un examen minutieux ferait retrouver dans ce qu’il a pu écrire alors, il est juste de faire la part des nécessités qu’avaient à subir tous les écrivains politiques, et plus particulièrement ceux qui, comme Michaud, avaient manifesté des opinions royalistes. La feuille à laquelle il travaillait alors était le Courrier républicain de Poncelin, laquelle n’avait guère de républicain que le nom, et qui, après comme avant les journées de thermidor, était classée au moins comme très suspecte par les meneurs révolutionnaires. Toute cette époque, qui a été appelée l’époque de la terreur, fut réellement

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pour Michaud un temps d’anxiété, de très grands périls ; et l’on ne peut pas douter qu’il n’ait vu avec une extrême joie la chute de Robespierre au 9 thermidor. Il concourut dès lors à la rédaction de plusieurs journaux royalistes, entre autres à celle de la Gazette française, avec Fiévée et Poncelin. Ce ne fut qu’en 1795 qu’il s’associa avec Rippert et Riche à la rédaction et à la propriété de la Quotidienne. M. de Coutouli, fondateur de ce journal, avait péri sur l’échafaud en 1794 (1)[1]. Michaud et Riche lui donnèrent une grande impulsion de royalisme. Ce fut à la même époque que la fille de Louis XVI ayant obtenu sa délivrance pour se rendre en Autriche, Michaud composa avec Beaulieu un petit volume de félicitations, qu’il dédia à cette princesse, sous le nom d’Adieux à Madame, et qu’il signa du nom originaire de sa famille, par M. d’Albens. Peu de temps après, le triomphe de la convention, au 13 vendémiaire, le força de fuir, et il se réfugia chez Poncelin, dans une maison de campagne que celui-ci possédait aux environs de Chartres. Mais Bourdon de l’Oise, en mission dans ce pays, les eut bientôt découverts, et Poncelin s’étant échappé, il s’en vengea sur Michaud, qu’il fit ramener à Paris à pied entre deux gendarmes à cheval, auxquels il était recommandé de ne pas le ménager, et, dans le cas où la fatigue ralentirait un peu son pas, de le faire avancer à coups de plat de sabre. Ces braves gens n’obéirent pas à la dernière partie de l’ordre ; mais ils ne l’en conduisirent pas moins à Paris, où bientôt l’affaire s’instruisit. Elle devenait fort mauvaise. En vain des amis sollicitaient un député de l’Ain, Gauthier, alors membre du comité de sûreté générale, quand un stratagème très adroitement exécuté par Giguet mit la surveillance des gendarmes en défaut, et permit à Michaud une évasion qui lui sauva la vie (2)[2]. Il était grand

  1. (1) On voit par ces faits et par ces dates incontestables que si Michaud fut attaché de bonne heure à la première Quotidienne, à celle qui parut à la révolution, il n’en fut en aucune façon le fondateur. La création de cette feuille appartient à deux personnes seulement, de Coutouli et Rippert. De Coutouli périt ainsi qu’on vient de le voir ; Rippert, resté jusque dans les derniers temps copropriétaire de la Quotidienne, est mort vers 1840.
  2. (2) Dès l’arrivée de Michaud à Paris, entre les chevaux des gendarmes, Giguet, qui l’avait vu passer en cet état devant les Champs-Elysées, lui avait prodigué les témoignages de l’affection la plus vive. Comme chaque jour on conduisait Michaud des Quatre-Nations, alors converties en prison, aux Tuileries, siège du conseil militaire qui devait le juger, Giguet ne pensait à rien moins qu’à brûler la cervelle aux deux gendarmes qui servaient d’escorte au prisonnier. Il comprit cependant que ce n’était pas là un bon moyen, et il imagina un expédient plus doux et plus sur. Au jour convenu, il se trouve, à la sortie du pont Royal, sur le passage de Michaud, et, feignant de le voir pour la première fois après une longue absence, il lui demande ce qu’il fait, ou il va, s’il veut venir déjeuner avec lui. -

    « Non, non, répond Michaud, j’ai une petite affaire, là, aux Tuileries ! quelques
    « mots d’explication ! c’est l’affaire d’un instant. Commencez le
    « déjeuner sans moi, je vous rejoins tout à l’heure.» - « Du
    « tout, du tout, on n’expédie pas ainsi.les gens. On ne commence-
    « ra pas par toi peut-être ; déjeunons d’abord. Ces messieurs
    « sans doute (montrant les gendarmes) n’ont pas déjeuné, ils ne
    « refuseront pas une côtelette et un verre de vin de Bordeaux.
    « Justement voilà un restaurant tout proche. »

    Les gendarmes, après quelques hésitations, se laissent affriander : prisonnier, gardiens, amis, les voilà tous attablés ; on verse rasade, on mange, on parle un peu, de tout, de la Bresse surtout et de la délicieuse chère qu’on y fait. Les poulardes sont sur le tapis : l’eau en vient à la bouche des gendarmes.

    « Parbleu, messieurs, s’écrie Giguet, puisque vous ne connaissez pas les poulardes
    « de notre pays, je tiens à vous convaincre qu’il n’en est pas de
    « pareilles dans les quatre-vingt-trois départements. Nous avons
    « le temps, vous mangerez bien encore un morceau, et l’appétit
    « vient en... buvant (et il remplit les verres). Garçon, une pou-
    « larde de Bresse ! et pas de triche ! qu’elle soit de la Bresse,
    « mon ami, et non du Mans… Tiens, Michaud, toi qui t’y con-
    « nais, surveille-moi un moment ces coquins-là, descends à la
    « cuisine. A votre santé, messieurs ! »

    Pendant qu’on trinque, Michaud se lève, et bientôt est hors d’atteinte. Giguet eut encore l’art de les retenir près d’une demi-heure à table, disant que son ami surveillait le rôtisseur ; puis, quand ils surent que le prisonnier n’avait pas paru à la cuisine, Giguet, feignant de croire que son ami n’avait voulu que plaisanter, ou bien s’était trouvé incommodé et était retourné chez lui, leur fit perdre encore une heure ou deux en vaines courses.