Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 29.djvu/306

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ressembler à Henri IV, si je n’avais pas eu peur d’offenser Dieu. » L’abbé Richard cite, parmi les personnages du temps qui crurent que frère Jean-Baptiste était le comte de Moret, Henri Arnauld, évêque d’Angers, le duc de Mazarin, le comte de Séran, la duchesse de la Meilleraye, le marquis de Dreux-Brézé, l’abbé Rousseau, vicaire général et official de l’évêché de Dol, divers magistrats, etc. L’abbé Richard avait lui-même plusieurs fois visité l’ermite dans sa solitude ; mais, après avoir rapporté les détails ci-dessus, extraits ou plutôt copiés en entier de la Vie d’un solitaire inconnu, détails qu’il qualifie tantôt de « preuves », tantôt de «conjectures », cet auteur n’ose conclure que frère Jean-Baptíste soit réellement le comte de Moret. Il serait porté à croire que cet « ermite était fils naturel de Henri IV ». Richard termine son récit en ces termes : « On peut proposer ce fait historique comme un problème et laisser au lecteur à porter son jugement. » Le curé Grandet entre dans de longs détails sur la vie érémitique de frère Jean-Baptiste, qui prit d’abord le nom de Jean-Jacques, habita en Dauphiné, le diocèse du Puy, celui de Genève, l’ermitage du Mont-Cindre, au diocèse de Lyon ; il visita Avignon, Turin, Rome, Notre-Dame de Lorette ; s’arrêta dans l’État de Venise ; rentra en France ; séjourna successivement en Lorraine, a Martemont, à Doulevant, à Saint-Guinefort ; passa dans le diocèse de Langres ; bâtit un ermitage à Oisilly ; fit un voyage en Espagne ; repassa en France ; s’établit à St-Pérégrin, et enfin en Anjou, dans l’ermitage des Gardelles, où il mourut d’une fluxion de poitrine le 24 décembre 1691. Il avait été vicaire ou visiteur général des ermites de plusieurs diocèses. Il avait eu des procès à Lyon, à Dijon ; il avait bâti des cellules, des chapelles, reçu des novices, composé des statuts ou règlements pour la vie solitaire. Le quinzième chapitre du second livre de la Vie d’un solitaire inconnu a pour titre : S’il est vraisemblable qu’il ait été le comte de Moret. L’abbé Grandet commence par reconnaître que Dupleix, de Serres, ou plutôt son continuateur, Jean Leclerc, dans sa Vie du cardinal de Richelieu, Moréri, et tous les historiens, font tuer son héros au combat de Castelnaudari, et qu’enfin tous les ans on célébrait l’anniversaire de sa mort dans l’abbaye de St-Étienne de Caen, dont ce prince avait fait bâtir le chœur. Grandet avoue ensuite « qu’a cette foule d’auteurs » (auxquels il eût pu ajouter le maréchal de Bassompierre, qui dit dans ses Mémoires que « M. de Moret, ayant voulu aller voir détrousser les ennemis, fut rapporté mort », il ne peut opposer « que le témoignage de deux personnes », celui du gentilhomme de Granval et du prêtre Thomas, et il ne conclut pas que ce témoignage doive prévaloir ; il se borne à dire « qu’il y a au moins beaucoup de sujet de douter ». Cette conclusion est sage et raisonnable, et c’est la seule qu’on puisse adopter aujourd’hui. On imprima dans le Mercure français, t. 9, en 1632, une relation du combat de Castelnaudari sous le nom du maréchal de Schomberg : il y est dit que le comte de Monet avait été blessé d’une mousquetade dont « on le croyoit » mort, paroles remarquables, si la relation ne fut pas écrite par le maréchal le soir même du combat. On lit aussi dans les Mémoires du comte de Brienne, ministre et secrétaire d’État (Amsterdam, 1719, t. I, p. 73) : « Ou disait que le comte de Moret avait été tué. » Ces mots on disait semblent exprimer un doute singulier dans la bouche d’un ministre, à l’égard surtout d’un prince fils de Henri IV, frère naturel et légitime de Louis XIII. On peut ajouter qu’aucun historien ne fait connaître le lieu où le comte de Moret aurait été inhumé après le combat de Castelnaudari [1]. Mais comment sa sépulture serait-elle restée ignorée ? comment serait-il arrivé qu’aucun parent, qu’aucun ami, n’eût cherché à la découvrir et à lui consacrer un monument ou une simple inscription funèbre [2] ? V-ve.


MOREL (le P. Joseph), célèbre historien espagnol, naquit en 1618 à Pampelune, capitale de la Navarre. Ayant achevé ses études, il entra chez les jésuites, habiles à s’emparer des sujets dont les talents promettaient de répandre sur l’institut un nouvel éclat ; mais trop jeune encore pour recevoir l’habit, il y vint comme pensionnaire en attendant qu’il eût atteint sa quatorzième année, âge avant lequel on ne pouvait prononcer les premiers vœux. Après avoir professé quelque temps la philosophie et la théologie, il devint recteur du collège de Palencia. L’Histoire du siége de Fontarabie par les Français, en 1638 [3], ayant fait connaître les talents du P. Moret comme écrivain, les états de Navarre le nommèrent historiographe de ce royaume. Pour lui faciliter l’exercice de cette charge, ses supérieurs le transférèrent avec le titre de recteur au collège de Pampelune, mais en le dispensant des devoirs qui y étaient attachés. Il consacra le reste


  1. On avait dit qu’il fut enterré dans l’église des cordeliers d’Albi, mais cette indication a été reconnue sans fondement.
  2. Le portrait du comte de Moret, peint. par Van Dyck et par Vallée, a été gravé par de Ballu, Moncornet et Drevet. Thomassin l’a représenté en solitaire.
  3. Historia obsidíonis Fontarabiæ, anno 1638 frustra à Galli tentata, Lyon. 1656, in-24. Cet ouvrage est le plus rare de tous ceux du P. Moret. Quelques bibliographes, qui n’avaient pas pu se le procurer après de longues recherches, ont pensé qu’il n’avait point été imprimé. Cependant l’édition qu’on vient de citer est mentionnée dans la Biblioth. soc. Jesu, et dans la Bibl. hispan. nova, d’Antonio. Elle l’est aussi dans la Bibliothèque historique de la France, t. 2, n°21963, ou l’on en indique une 1re édition, Pampelune, 1638. Quoiqu’il ne soit pas impossible que le P. Moret eût alors composé cet ouvrage, puisqu’il avait vingt-trois ans, il est cependant probable qu’il ne l’a publié que longtemps après. Comme le siège de Fontarabie est séparé par plus de cinquante ans de la publication du 2e volume des Annales de Navarre, imprimé en 1695, les nouveaux éditeurs de la Bibliothèque de la France, doutent que les deux ouvrages fussent du même auteur, ont, dans la table générale, distingué l’historien du siège de Fontarabie de celui des Annales de Navarre ; c’est une faute légère, il est vrai, mais qu’ils auraient évitée en ouvrant la Bibliothèque de la société, de l’édit. de Southwel, p. 524.