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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 3.djvu/30

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profondes, lui furent très-utiles, parce qu’il les dirigea entièrement vers la carrière des armes, à laquelle dès lors on l’avait destiné. Il entra comme sous-lieutenant dans le régiment d’Alsace en 1784, et il était lieutenant au même corps le 1er mai 1791, lorsqu’il donna sa démission, pour ne pas servir la cause de la révolution. Ayant bientôt changé d’opinion, il fut nommé capitaine dans un bataillon d’infanterie légère le 20 janvier 1792, et, le mois suivant, aide de camp du général Crillon. Trois mois après il obtint le même emploi auprès de Labourdonnaye, puis auprès de Custine qui le fit son sous-chef d’état-major, en lui donnant le grade de général de brigade. En remplissant ces fonctions, Baraguey d’Hilliers prit part à l’invasion du Palatinat et à la prise de Mayence, a la fin de 1792. La confiance du général en chef lui offrait alors la perspective d’une destinée encore plus brillante : il était question de le faire ministre de la guerre ; mais, entraîné dans la chute de son protecteur, il fut comme lui suspendu de ses fonctions, arrêté et conduit à Paris ; cependant il ne parut pas dans le procès de Custine. Ce ne fut qu’un an après que, traduit au sanglant tribunal révolutionnaire avec cinquante victimes[1], qui ce jour-là même périrent sur l’échafaud, accusées d’avoir conspiré dans la prison où tous étaient détenus, Baraguey d’Hilliers fut absous avec deux autres accusés. Un bonheur si rare et si inespéré donna lieu à beaucoup de conjectures, et l’on alla jusqu’à dire que le général Baraguey avait racheté sa vie par des actes de faiblesse ; mais son caractère connu et le courage qu’il a tant de fois déployé ne permettent guère d’ajouter foi à de pareilles assertions. Malgré cette sentence d’absolution, il fut envoyé de nouveau à la prison du Luxembourg comme noble et suspect, et il n’en sortit qu’après la chute de Robespierre. Remis en activité le 5 prairial an 5 (24 mai 1795), il fut employé à Paris, et concourut sous les ordres de Pichegru à réduire le parti des démagogues du faubourg St-Antoine, révoltés contre la convention nationale ; mais quelques mois plus tard (15 vendémiaire an 4 ; 5 octobre 1795) il fut accusé d’avoir manqué de fermeté contre d’autres révoltés du parti contraire, de la section Lepelletier que l’on accusait de royalisme ; ce qui le fit encore une fois destituer, réintégré dès le mois suivant, il fut employé dans l’ouest sous les ordres de Hoche ; puis à l’armée d’Italie, où il arriva vers la fin de la belle campagne de 1796. Le général en chef Bonaparte lui donna un commandement dans la Lombardie, et le chargea ensuite de s’emparer de Bergame, place de l’État vénitien qu’il lui importait d’occuper, mais que la neutralité semblait mettre à l’abri d’une pareille entreprise. Baraguey d’Hilliers usa dans cette occasion de beaucoup d’adresse, et voici comment Bonaparte rendit compte de cette expédition au directoire : « Quoique l’occupation de Bergame ne soit pas une opération militaire, il n’en a pas moins fallu des talents et de la fermeté pour l’obtenir. Le général Baraguey d’Hilliers que j’en avais chargé s’est parfaitement conduit ; je vais lui donner le commandement d’une brigade, et j’espère qu’aux premières affaires il méritera sur le champ de bataille le grade de général de division. » Chargé en effet bientôt après de conduire un corps d’armée dans le Tyrol, Baraguey d’Hilliers pénétra dans la vallée de l’Adige jusqu’aux gorges de la Brenta, où il se réunit à l’armée principale, après avoir fait 4 000 prisonniers ; et le grade de général de division lui fut donné (mars 1797). Il reçut peu de temps après du général en chef une preuve de confiance encore plus grande. L’adresse qu’il avait mise à s’emparer de Bergame fit avec raison penser à celui-ci qu’il ne se montrerait pas moins habile dans une opération de même nature, mais de beaucoup plus d’importance : c’était l’occupation de Venise dont il s’agissait également de s’emparer à la faveur des dissensions que le voisinage de l’armée française y avait fait naître, et des mouvements populaires que l’envoyé de France, Lallemant, et son secrétaire, Villetard, y avaient excités. Baraguey d’Hilliers se tint pendant quelques jours en observation avec sa troupe, attendant le résultat de toutes ces manœuvres et les ordres du général en chef, qui ne tardèrent pas à arriver. Dès le lendemain Venise fut au pouvoir des Français, et la plus ancienne des républiques avait cessé d’être !…Bonaparte ne fut pas moins satisfait de Baraguey d’Hilliers dans cette occasion qu’il ne l’avait été à la prise de Bergame ; il lui donna le commandement de Venise ; et ce général, établi dans l’une des plus riches maisons (l’hôtel Pisani), déploya un faste jusqu’alors inconnu dans l’armée française. On voit dans l’historien Botta qu’après avoir dépouillé les Vénitiens de leur marine, de leurs monuments des arts et de toutes leurs richesses, Baragey d’Hilliers planta solennellement sur la place St-Marc un arbre de la liberté ; et qu’il négociait en même temps pour les livrer à l’Autriche. Quand cette opération fut consommée, le général en chef lui donna un autre

  1. Un des documents historiques manuscrits les plus curieux pour histoire de la convention nationale est celui que je possède, et qui a pour titre : Extrait du registre des audiences du tribunal criminel révolutionnaire. « Du 22e jour de messidor de l’an second de la république une et indivisible. — Appert le tribunal avoir condamné à la peine de mort... » Suit la liste de quarante-six individus condamnés à mort ce jour-là, et l’on y trouve : « Louis Baraguey d’Hilliers, âgé de trente ans, ex-général de brigade à l’armée du Rhin, né à Paris, y demeurant rue des Ecouffes, n°31. » Cet article a été ensuite barré sur la liste, ainsi que huit autres : ce qui prouve que les procès verbaux des jugements étaient dressés avant l’audience ou ces jugements étaient rendus! Les huit autres noms retirés et barrés sur la liste sont : J.-B. Larchevéque Thibault, qui avait joué un rôle dans la première révolution de St-Domingue ; deux planteurs ou habitants du Cap, un cultivateur américain, un capitaine de vaisseau, un horloger de Paris, un secrétaire de paix de la section du Muséum, et un juge utilitaire du tribunal criminel du premier arrondissement de l’armée des Ardennes. — Parmi les trente-sept autres condamnés dont les noms ne sont point barrés sur l’extrait, et qui furent exécutés le même jour 22 messidor, on remarque Jacq.-Raoul Coradeux (sic), dit La Chalotaye (sic), ex-procureur général au ci-devant parlement de Rennes ; George-Marie Leclercq Buffon fils, âgé de trente ans, etc. ; deux journalistes, P.-Germ. Pariseau et Ant. Fournon ; six curés ou vicaires, des maréchaux de camp. des colonels, des nobles, un cuisinier, un chevalier de Malte, des capitaines de vaisseau, des militaires de divers grades, un laboureur, des comtes, un homme de confiance, etc. — Cette pièce est ainsi terminée : Et avoir déclaré leurs bien acquis à la république.
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