Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 32.djvu/618

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cardinal Jean Colonne, son allié, voulut être en tiers dans cette amitié. Pétrarque trouva près d’eux tout ce que la ville pontificale rassemblait d’étrangers illustres : son air noble et ouvert, sa physionomie douce et spirituelle, les grâces de son esprit, le prix qu’il attachait à plaire, lui assuraient, au milieu de ce cercle choisi, un ascendant remarquable. Le vieux Colonne aimait à lui raconter sa vie, à lui développer ses projets ; et Pétrarque puisa dans ces entretiens un nouvel amour pour l’Italie, et une aversion plus forte pour tout ce qui pouvait en prolonger les malheurs ou en obscurcir la gloire. Jacques Colonne fut appelé à l’évêché de Lombez ; son ami le suivit dans ce diocèse, et ils s’arrêtèrent ensemble à Toulouse, où, peu d’années auparavant, en 1334, Arnauld Vidal avait reçu au Capitole l’églantine poétique. Les sept Mainteneurs du gai savoir commençaient à y répandre le goût de la poésie vulgaire, et à mettre en honneur ces petits poèmes inconnus aux anciens, dont quelques-uns sont restés propres à la littérature des troubadours. Amant soumis et malheureux, Pétrarque devait se consoler comme eux, en chantant ses ennuis et sa mie. Le 6 avril 1337, le lundi saint, à six heures du matin, il avait vu, dans une église d’Avignon, la fille d’Audibert de Noves, (voy. NOVES) ; et sa passion pour Laure, dont on ne répétera point ici les développements, remplit le reste de sa vie. Laure était unie à Hugues de Sade, jeune patricien, originaire d’Avignon ; et, fidèle à ses devoirs d’épouse et de mère, elle défendait à Pétrarque jusqu’à l’espérance. Sans cesse poursuivi par ce souvenir, le poète visite en courant le midi de la France : Paris, la Flandre, les Pays-Bas, la forêt des Ardennes, retentissent tour à tour de ses vers et de ses plaintes ; il traverse la Bourgogne, le Lyonnais, le Dauphiné, et revient s’ensevelir à Vaucluse, après un exil de huit mois. Le pape Jean XXII méditait alors une nouvelle croisade, et laissait espérer aux Romains qu’il replacerait la chaire de saint Pierre en Italie. Ce double projet enflamma Pétrarque, et lui inspira sa belle ode à l’évêque de Lombez : O aspettata in ciel, etc. L’année suivante (1335), nous le retrouvons encore exprimant. en beaux vers latins à Benoit XII, son désir de voir le saint-siège rétabli dans la ville éternelle ; et le pape lui répond en le nommant chanoine de Lombez, avec l’expectative d’une prébende. Cette même année fut marquée par un succès unique dans la vie de Pétrarque. Une liaison étroite et récente l’attachait aux intérêts d’Azon de Corrège, un des principaux seigneurs d’Italie, poursuivi devant la justice papale par la famille des Rossi. Le poète voulut bien descendre pour son ami dans la lice du barreau ; et ce fut pour tous les deux un jour de triomphe. Depuis qu’il avait vu Laure, il cherchait des distractions partout sans pouvoir se fixer nulle part. Une inquiétude vague porte ses pas vers Rome, où

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l’amitié des Colonne ne peut le retenir ; et il revient à Avignon, qu’il ne voulait plus habiter, mais dont il ne pouvait s’éloigner longtemps. C’est alors qu’il s’enferma dans sa retraite de Vaucluse, sans amis, sans domestiques, comme si la solitude avait pu le délivrer d’une passion qui s’augmentait de tous ses efforts pour la détruire. La maison de campagne de l’évêque de Cavaillon touchait à la sienne. C’était Philippe de Cabassole, qu’il appelle lui-même un petit évêque et un grand homme. Pétrarque ne put refuser ses consolations, et, bientôt le nomma son ami. L’amant de Laure sembla un moment dominé par une grande conception littéraire. Il avait commencé d’écrire en latin l’histoire de Rome, depuis sa fondation jusqu’a Titus, En rassemblant les matériaux de cette histoire, il fut frappé de la grandeur des événement : qui ont marqué la fin de la deuxième guerre punique. Soudain il se sent transporté par l’espérance de donner à son siècle une épopée régulière, dont Scipion sera le héros. Son plan est tracé à la hâte ; quelques morceaux sont écrits d’inspiration : avant la fin de l’année. le poète put soumettre à ses amis la plus grande partie de son ouvrage ; et dès lors un ne trouva plus pour le louer que les noms de sublime et de divin. Ses sonnets et ses Canzoni avaient rempli la France et l’Italie du nom de Laure et du sien : le 23 août 1340, à quelques heures d’intervalle, il reçut, à Vaucluse, une lettre du sénat romain, qui l’invitait à venir se faire couronner au Capitole, et une lettre du chancelier de l’université de Paris, qui lui offrait le même triomphe. C’est à tort qu’on a fait honneur de cette démarche à cette corporation savante : les recherches les plus exactes faites dans ses registres n’ont présenté aucune trace de la délibération qui aurait dû précéder cette lettre ; et tout porte à croire que le chancelier Robert de Bardi, Florentin comme Pétrarque, et son ami personnel lui avait écrit sans l’aveu de ses collègues, bien sûr de leur faire partager son admiration, dès que le poète serait à Paris. Le choix de Pétrarque était déjà fait. Il ambitionnait depuis longtemps le laurier poétique ; et il s’en était ouvert à Robert d’Anjou, roi de Naples, dont l’influence avait hâté l’admiration et les suffrages des sénateurs de Rome. Ce prince cultivait les lettres avec enthousiasme, et les protégeait en roi. Pétrarque ne voulut devoir qu’à lui la couronne qui lui était offerte ; il s’embarqua pour Naples, et lui porta son épopée, qu’il avait intitulée l’Afrique. Le roi et le poète eurent des conférences sur la poésie et sur l’histoire celui-ci réclama une épreuve plus rigoureuse ; il offrit de répondre pendant trois jours à toutes les questions qui lui seraient proposées sur l’histoire, la littérature et la philosophie, soutint cet examen avec gloire, et Robert se déclara solennellement digne du triomphe qui lui était promis. A son audience de congé, le roi,