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Pétrarque, affligé d’un bruit qu’il ne pouvait croire, n’hésita pas à s’établir à Pavie, auprès de Galéas, et fut chargé par ce prince, ami des lettres, de dissuader Charles IV d’une nouvelle expédition au delà des Alpes. Cette ambassade fut plus heureuse que les précédentes : le soin de répondre aux mécontents d’Allemagne suffisait à la politique versatile de l’empereur. De retour à Milan, l’ambassadeur reçut de sa part le diplôme de comte palatin dans une botte d’or d’un poids considérable. Pétrarque accepta ce nouvel honneur, et renvoya la botte au chancelier de l’empire. Fatigué de l’agitation des cours, il se choisit une nouvelle retraite à Garignano, sur le bord de l’Adda, dans une jolie maison de campagne qu’il appelait Linterno, en mémoire de Scipion, son héros. Des projets et des recherches littéraires, des exercices religieux et des visites fréquentes à la chartreuse de Milan, partageaient ses nouveaux loisirs. Tous les grands seigneurs d’Italie avaient disputé aux papes et aux rois l’avantage de le fixer auprès d’eux. Un orfèvre de Bergame, nommé Capra, sollicita et obtint une sorte de préférence. Quand Pétrarque vint le voir, Bergame sortit à sa rencontre : Capra le reçut avec une magnificence presque royale, jouit de sa conversation avec transport, et prouva, par son enthousiasme comme par le nombre et le choix de ses livres, qu’il était digne de son hôte. Une nouvelle mission diplomatique ramena Pétrarque en France en 1360 : il allait complimenter le roi Jean sur sa délivrance, et ce prince, qui avait fait de vains efforts pour empêcher son retour en Italie, renouvela ses instances pour le retenir. Mais l’envoyé de Galéas revint à Milan sans se laisser ébranler ni par les présents du monarque ni par les prières du Dauphin : celles de l’empereur, appuyées par l’envoi d’une coupe d’or d’un merveilleux travail, ne le trouvèrent pas moins inflexible. Jamais toutefois le séjour de l’Italie ne lui avait offert moins d’attraits. Les compagnies étrangères qui infestaient cette terre de discorde le forcèrent de chercher à Padoue un asile, d’où il fut bientôt banni par la peste. Réfugié à Venise avec ses livres, qui le suivaient partout et qui l’obligeaient à l’entretien d’un grand nombre de chevaux, il fit don de sa bibliothèque à cette république hospitalière, par une cédule de l’an 1362, à condition qu’une si rare collection ne serait ni divisée ni vendue. Un décret du sénat assigna un palais pour le logement de Pétrarque et de ses livres, et c’est là sans doute ce qui l’a fait regarder comme le premier fondateur de la célèbre bibliothèque de St-Marc (1) [1]. L’abbé de Sade était dans l’erreur lorsqu’il a dit que tous ces manuscrits avaient péri. Tomasini, qui en fit la recherche en 1635, les reconnut dans la chambre étroite et obscure où ils avaient été lo

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gés d’abord, espèce d’archive située près des quatre chevaux de bronze (1) [2], et ils y demeurèrent jusqu’en 1739, époque où le public eut enfin la permission de les consulter (2) [3]. Ce séjour à Venise est doublement mémorable dans la vie de Pétrarque. Exilé de Florence par la contagion, Boccace vint partager son asile, et lui présenta Léonce Pilate, de Thessalonique, qui lui enseignait le grec. L’amant de Laure avait autrefois étudié cette langue avec l’aide du moine Barlaam, ambassadeur de l’empereur Andronic auprès du pape Benoit XII, et il l’avait étudiée dans les dialogues de Platon ; mais le court séjour du moine à la cour d’Avignon permet de croire avec l’auteur de l’Histoire littéraire d’Italie, qu’il apprit à cette école plus de platonisme que de grec. Il saisit l’occasion qui lui était offerte de reprendre cette étude, et déjà sexagénaire, il trouva dans les difficultés mêmes qu’elle opposait à sa persévérance des jouissances assez vives pour adoucir les pertes qui l’accablaient de toutes parts. Il était dans la destinée de Pétrarque de survivre à tous ceux qu’il aimait. Depuis quinze ans, la mort l’avait séparé du cardinal Jean Colonne, de Jacques de Carrare. seigneur de Padoue, et de plusieurs autres amis qui ne lui étaient pas moins chers, mais qui sont aujourd’hui moins connus. Cette seconde peste lui ravit presque tous ceux qui lui restaient, entre autres Azon de Corrége et deux gentilshommes qui avaient partagé avec lui l’intimité de l’évêque de Lombez, les mêmes qui reviennent si souvent dans ses lettres sous les noms de Lælius et de Socrate. Sa douleur le rendit plus sensible encore aux critiques dont toute sa renommée ne put sauver ses églogues latines et plusieurs fragments de son poème de l’Afrique. C’est alors surtout que le poète pleura sur ses lauriers et il lui échappa de dire que ce couronnement avait été pour lui le couronnement d’épines. Il aurait pu se consoler par les hommages qui l’environnaient à Venise. Une nouvelle révolte de l’île de Candie avait alarmé sérieusement la métropole : le sénat, se fiant à la réputation et à l’expérience militaire de Luchino del Verme, général milanais ami de Pétrarque, l’avait appelé au commandement de l’expédition dirigée contre les rebelles. Le poète consentit à joindre ses prières à celles du doge pour obtenir ses services. Luchino pacifia Candie, et Pétrarque prit place à la droite du doge aux jeux équestres qui furent donnés, à la manière des anciens, pour célébrer cette victoire. Un pape

  1. (1) Morelli, Della publica libraria di S. Marco, Venise, 1774, in-4e, p. IV et suiv..
  2. (1) Plusieurs. de ces livres, oubliés là pendant prés de trois siècle, tombaient en poussière, d’autres étaient comme pétrifiés. Tomassini (Petrarcha redivir., 1635, p. 85) donne la liste de ceux qui furent alors trouvés en bon état. On y remarque un vocabulaire polyglotte, latin, persan et turc (communicum, écrit en l’an 1303), et dise il copie un petit échantillon.
  3. (2) Morelli, loc cit. p. VI. Ce savant bibliographe donne le détail de plusieurs de ces manuscrits, qui se voient encore aujourd’hui dans la bibliothèque de St-Marc. Il explique l’espèce d’oubli dans lequel on les avaient laissés pendant si longtemps par l’enthousiasme qu’occasionna au 16e siècle l’acquisition bien plus considérable des manuscrits grecs du cardinal Bessarion.