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2 Vol. ; 2° édition 1860 ; 16° Mythologie romaine, ibid., 1858, 2 vol., ouvrage dédié à l’université d’Iéna pour l’anniversaire de la troisième fête séculaire. R—L.—N.

PRÉMARE (Le P. Joseph-Henri), savant jésuite français, est celui des missionnaires de la Chine qui a fait les plus grands progrès dans la littérature de cet empire, et qui a le mieux approfondi la théorie de la langue et les antiquités chinoises. On ignore le lieu et l’époque de sa naissance ; mais on sait qu’il était du nombre des jésuites qui partirent de la Rochelle, le 7 mars 1698, pour aller prêcher l’Évangile à la Chine. Il fit son voyage en sept mois sur le vaisseau l’Amphitrite, dans la compagnie des PP. Bouvet, Domenge, Baborier. Il y avait en tout sur ce vaisseau onze missionnaires jésuites, parmi lesquels plusieurs ont jeté beaucoup d’éclat sur la mission de la Chine. Le P. Prémare arriva le 6 octobre à Sancian, et, le 17 février de l’année suivante, il écrivit au P. de la Chaise une relation de son voyage (l)[1], avec quelques détails qu’il avait recueillis au sujet du cap de Bonne-Espérance, de Batavia, d’Achen et de Malacca. Dans les premiers temps de son séjour, il dut s’occuper uniquement d’étudier la langue pour se mettre en état de remplir ses fonctions dans les provinces. On apprend par une lettre qu’il adressa au P. le Gobien, le 1er  novembre 1700 (2)[2], qu’il était à cette époque à Youan-tcheou-fou, dans le Kiangsi ; et on aperçoit aisément qu’il était encore sous l’influence de ces impressions dont un voyageur a tant de peine de se garantir au premier abord et de se guérir par la suite. Le côté faible des institutions chinoises l’avait uniquement frappé jusque-là ; et ces abus, inévitables dans l’administration d’un vaste empire, et dont tant de voyageurs superficiels ont fait des tableaux plus ou moins rembrunis, étaient tout ce qu’il avait eu le temps de remarquer. Le savant missionnaire avait conçu des Chinois une opinion plus favorable, et il reconnaissait pleinement la fausseté de ses préventions quand il écrivit la lettre (3)[3] où il réfute si complètement les fables et les absurdités dont sont chargées les Relations traduites de l’arabe par l’abbé Renaudot, et dont les notes et les additions du traducteur sont loin d’être exemptes. Ce livre célèbre, dont plusieurs passages ne dépareraient pas la collection des contes arabes, a de tout temps excité l’indignation des missionnaires de la Chine, parmi lesquels plusieurs se sont attachés a en relever les inexactitudes ; mais la réfutation du P. Prémare est la plus complète et la plus solide. Dès lors ce savant s’était consacré à l’étude de la langue et de la littéraire chinoises, non plus comme la plupart des autres missionnaires, dans l’unique vue de remplir les devoirs ordinaires de la pré

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dication, mais en homme qui voulait, à l’exemple des plus illustres d’entre eux, se mettre en état d’écrire en chinois sur des sujets de religion et chercher lui-même dans les monuments nationaux des armes pour repousser l’erreur et faire triompher la vérité. Ses succès, dans cette nouvelle carrière, furent si marqués qu’au bout de quelques années il put composer en chinois des livres qu’on estime pour l’élégance du style. Ce fut en s’occupant de recherches approfondies sur les antiquités chinoises que le P. Prémare se trouva conduit à embrasser un système singulier qui avait séduit plusieurs des missionnaires de la Chine, et, ce qui est bien remarquable, précisément ceux qui avaient le mieux étudié les anciens auteurs chinois. Ce système, dont nous avons déjà dit un mot dans un autre article (voy. Fouquet), consistait à rechercher dans le King et dans les monuments littéraires des siècles qui avaient précédé l’incendie des livres, des traces de traditions qu’on supposait transmises aux auteurs de ces livres par les patriarches fondateurs de l’empire chinois. Le sens quelquefois obscur de certains passages, les interprétations diverses qu’on en avait données à différentes époques, les allégories contenues dans le livre des Vers, les énigmes du livre des Sorts, l’analyse de quelques Symboles, étaient, pour les missionnaires prévenus de ces idées, autant d’arguments propres à les fortifier dans une opinion qu’ils regardaient comme favorable à la propagation du christianisme. C’étaient certainement dans cette vue, et non pour exciter une vaine curiosité, qu’ils s’attachaient à répandre ces notions extraordinaires. Mais la persévérance que le P. Prémare et les autres mirent à soutenir ces idées et les conséquences outrées que quelques-uns d’entre eux voulaient en déduire leur attirèrent beaucoup de désagrément de la part de ceux qui ne partageaient pas leur manière de voir, et qui en rattachaient l’examen à la grande querelle des jésuites et des dominicains sur l’esprit des rites et des cérémonies chinoises et sur l'athéisme prétendu des lettrés. Des hommes moins passionnés ne laissaient pas de désapprouver les opinions des jésuites sur l’antiquité chinoise ; et Fourmont, à qui le P. Prémare avait fait part de ses idées à cet égard, avoue qu’elles ne lui avaient jamais paru vraisemblables, parce que, dit-il, les anciens Chinois n’étaient pas prophètes. Il était bien naturel d’accueillir avec défiance un système si étrange et dont les suites pouvaient paraitre si graves ; mais, ce qui était moins juste, c’était de suspecter les lumières ou la bonne foi d’hommes respectables qui n’étaient pas moins distingués par leur science que par leur probité. On eût mieux fait d’examiner les faits sur lesquels reposaient leurs assertions, et de voir si ces faits n’étaient pas susceptibles d’interprétations plus naturelles que celles qu’ils proposaient. C’est ce que peu de personnes pouvaient essayer

  1. Lettres édifiantes, t 16, p. 336.
  2. Lettres édifiantes, t. 16, p. 392.
  3. Lettres édifiantes, t. 21, p. 183.