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en lui annonçant, à la fin de 1728, qu’il lui envoyait une grammaire à l’aide de laquelle on pourrait a l’avenir faire de rapides progrès dans étude du chinois. Malheureusement Fourmont avait aussi rédigé une grammaire, ou, pour mieux dire, il avait traduit de l’espagnol celle du P. Varo (1)[1]. Le fruit des peines qu’il s’était données, les mérites qu’il croyait avoir acquis, tout lui sembla anéanti en un moment par cette annonce d’un livre avec lequel il sentait bien que le sien ne pourrait soutenir la concurrence. Il faut voir avec quelle naïve désolation il raconte cet événement (2)[2], car c’en fut véritablement un pour lui. Il se hâta de remettre lui-même à la bibliothèque de Paris, avant l’arrivée de l’ouvrage de son ami, le manuscrit de la Grammatica sinica, de le faire coter et parapher par l’abbé Bignon ; et quand la Notice du P. Prémare lui fut parvenue, il s’autorisa de ces précautions pour composer lui-même un examen comparatif des deux ouvrages et faire voir qu’ils étaient d’accord sur les points importants, quoique le sien fût meilleur. Il publia ensuite le résultat de cette comparaison dans la préface de sa Grammaire. Le P. Prémare n’existait plus a l’époque où parut ce livre ; l’ouvrage de celui-ci fut perdu de vue. Le manuscrit autographe du P. Prémare, que possède la bibliothèque de Paris, est en trois petits volumes in-4o, et non pas en cinq, comme le dit Fourmont, sur papier de Chine, plié double ; les caractères sont d’une main chinoise, l’écriture latine en est difficile a lire en plusieurs endroits. Il en a été fait sur cet original une copie très-exacte, à l’effet de garantir les savants de la crainte qu’on pouvait avoir qu’un manuscrit si précieux, sous tant de rapports différents, ne vint un jour à se perdre ou à se détruire. Outre cette Grammaire, le P. Prémare avait encore fait, en compagnie avec le P. Hervieu, un Dictionnaire latin-chinois. Il avait mis en chinois presque tout ce qu’on trouve dans Danet, sans oublier une seule phrase qui donne aux mots un sens et un usage nouveaux. Cet ouvrage formait un gros volume in-4o. On ignore s’il a été envoyé en Europe. Prémare avait aussi traduit du chinois un drame intitulé Tchao chi kou-eul (l’orphelin de la maison de Tchao). Cette pièce, qui a fourni à Voltaire quelques situations dans son Orphelin de la Chine, a été recueillie par Duhalde (3)[3] ; et jusqu’à la publication de la comédie traduite en anglais par M. Davis, c’était le seul échantillon sur lequel on pût juger en Europe du théâtre chinois. On doit encore an P. Prémare l’acquisition d’un grand nombre de livres chinois qu’il a envoyés à Fourmout pour la bibliothèque de Paris, et parmi lesquels il faut distinguer la collection de cent pièces de théâtre, composées

(l) Voyez les circonstances de ce plagiat dans les Éléments de la grammaire chinoise, préf. p. XIV.

(2) Catalogue des ouvrages de M. Fourmont l’ainé, p. 100.

(3) Description de la Chine, t. 3, p. 341, in-fol.



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sous la seule dynastie des Youan (1)[4], les treize livres classiques, plusieurs romans et recueils de poésie, etc. La correspondance du P. Prémare était fort étendue ; et, à en juger par les quatre lettres entières et par divers extraits des autres qui ont été publiés, elle devait contenir beaucoup de détails intéressants. Malheureusement Fourmont, qui était celui auquel le missionnaire écrivait le plus souvent, n’en a presque conservé aucune, ou du moins il ne s’en est trouvé qu’une seule dans ses papiers. Nous connaissons trois ouvrages du P. Prémare, écrits en chinois, la Vie de St. Joseph (Catal. de Fourmont, no 275), qu’il avait composée en 1718 ou 1719 ; — le Lou-chou chi-i, ou Véritable sens des six classes de caractères (idem, no 20), ouvrage où l’auteur expose, sur l’origine des caractères chinois, ces hypothèses singulières dont nous avons parlé plus haut ; — enfin un petit traité sur les attributs de Dieu, qu’il a inséré dans sa Notitia linguae sinicae comme un exemple de la manière dont on peut écrire en chinois sur les matières de religion. On possède encore à la bibliothèque de Paris quelques traités en latin et en français qui tous ont pour objet d’établir, de développer et de justifier les systèmes d’explication des caractères et des antiquités de la Chine embrassés par les PP. Bouvet et Prémare. Plusieurs de ces traités sont de la main du P. Prémare, et composés par lui en partie sur les matériaux recueillis par le premier. On y trouve aussi les originaux de plusieurs de ses lettres adressées au confesseur de Louis XV et à d’autres personnes. On a vu plus haut que trois de ses lettres avaient été publiées dans le recueil des Lettres édifiantes. Une quatrième, qui était restée dans les papiers de Fourmont, a été donnée par Klaproth dans les Annales encyclopédiques ; elle renferme un jugement très-sévère et très fondé sur la Grammaire de Fourmont, adressé à Fourmont lui-même et exprimé avec une candeur et une sincérité dignes d’éloges. Le P. Prémare avait eu trois attaques d’apoplexie en 1731, et l’on craignait que la paralysie n’en fût la suite. On attribuait ces accidents à la trop grande ardeur avec laquelle il s’était livré à l’étude du chinois. Il survécut peu d’années aux premières atteintes de ce mal, et mourut à la Chine vers 1734 ou 1735. Il est fâcheux de laisser des lacunes si multipliées au sujet des dates et des autres circonstances de la vie d’un missionnaire aussi illustre. La faute en est aux rédacteurs des Lettres édifiantes qui ont négligé de rendre au P. Prémare un hommage qu’ils ont payé à la mémoire de plusieurs de ses compagnons qui n’avaient pas rendu aux lettres de si importants services.   A. R—T.

PREMIERFAICT (Laurent de), né au village du même nom, dans les environs d’Arcis-sur-Aube, vivait à la fin du 14e siècle. Il mourut en 1418

  1. (1) Voyez les circonstances de ce plagiat dans les Éléments de la grammaire chinoise, préf., p. XIV.
  2. (2) Catalogue des ouvrages de M. Fourmont l’ainé, p. 100.
  3. (3) Description de la Chine, t. 3, p. 341, in-fol.
  4. Cette dynastie n’a régné que cent neuf ans, de 1259 à 1368