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duisants, une extension remarquable dans la pensée ; mais l’usage engendra l’abus : ses nuits devinrent horriblement troublées, et il finit, non sans peine, par triompher de lui-même et par renoncer au narcotique dangereux auquel il s’était adonné pendant dix-huit ans. En 1829, il alla s’établir à Glasgow, plus tard il se transporta à Édimbourg, où sa vie s'écoula sans aucun incident remarquable, et où il mourut le 8 décembre 1859 à l’âge de 74 ans. C’est sans doute à ses habitudes de divagation mentale qu’il faut attribuer l’absence de tout grand travail important sorti de la plume de ce penseur ingénieux et instruit. Il avait médité un ouvrage dont le titre était ambitieux : De emendatione humani intellectus ; il voulait y consacrer sa vie, et il n’en a rien laissé. Il s’est éparpillé en une foule de notices, de mémoires, d’articles qu’on a réunis en quatorze volumes publiés de 1854 à 1860. Il y aborde des questions d’histoire, de philosophie, de critique littéraire ; parfois aussi il se livre à des élucubrations de pure fantaisie. Parmi ses travaux historiques, on a distingué ceux sur Jeanne d’Arc, sur la Grèce sous la domination romaine, sur les Césars (il s’y montre fort rigoureux à l’égard de Cicéron, ce qui lui valut de vives contradictions), sur les Stuarts, sur Charlemagne (qui devient l’objet d’un parallèle avec Napoléon). Son récit de la Fuite des Tartares kalmoucks, ses essais sur les Esséniens et sur les Sociétés secrètes, sur les Traditions des rabbins, offrent un intérêt très-réel ; il expose des faits presque complétement ignorés, et il en déduit des conséquences ingénieuses. Comme critique littéraire, il s’est surtout occupé, en fait d’écrivains anglais, de Pope, de Milton, de Wordsworth, de Coleridge. Admirateur enthousiaste de ces derniers, il est extrêmement sévère pour Pope, où il voit l’incarnation d’une époque déplorable dans les fastes de la littérature britannique. Les classiques grecs furent l’objet de ses études : sa Théorie de la tragédie grecque abonde en renseignements curieux, en aperçus perçants ; son travail sur Homère et les Homérides plaide avec habileté en faveur de l’unité de composition des épopées homériques. Dans un mémoire relatif à Hérodote, il exalte ce « père de l’histoire » comme un philosophe doué de toutes les connaissances que l’on possédait à l’époque de la bataille de Marathon, et comme ayant fait preuve d’une exactitude qui, longtemps révoquée en doute, se trouve cependant confirmée par les découvertes modernes. Plusieurs auteurs allemands ont aussi provoqué ses réflexions ; il a donné une bonne traduction accompagnée de notes du Laocoon de Lessing. L’économie politique, cette science qui, ignorée il y a près d’un siècle, est aujourd’hui devenue l’objet de tant d’études persévérantes, préoccupa fortement de Quincey ; sa Logique de l’économie politique, ses Dialogues entre trois habitants du Temple (collège de jurisconsultes établi à Londres), révèlent une connaissance approfondie des sujets un peu abstraits qu’il avait entrepris de traiter. Les Lettres à un jeune homme dont l'éducation a été négligée forment un traité très-remarquable sur la philosophie de l’éducation. Fidèle à une habitude assez répandue chez les littérateurs britanniques, le mangeur d’opium écrivit plusieurs morceaux dictés par cet esprit de raillerie qu’on appelle humour : en ce genre, on distingue l’article intitulé le Meurtre envisagé comme un des beaux-arts, et celui qui a pour titre les Insurgés contre l'orthographe ; mais ces plaisanteries, essentiellement anglaises, perdent beaucoup en passant dans une autre langue. Malgré tout son talent, malgré la variété et la profondeur de ses connaissances, de Quincey n’a pas joui d’une grande vogue ; il n’a guère exercé d’influence sur l’opinion de ses contemporains. Apprécié par des esprits d’élite, il est resté délaissé de la masse du public. Le Quarterly Review qui lui a consacré une notice (juillet 1861) a dit de lui : « Maitre consommé dans l’art de la composition, critique d’une délicatesse peu commune, investigateur honnête et inflexible des opinions reçues, il nous a quittés plein d’années, et il n’a point laissé de successeur en état d’occuper sa place. Le fini exquis de son style, joint à la rigueur scolastique de sa logique, forme une combinaison que les siècles peuvent s’écouler sans reproduire, mais que chaque génération doit étudier comme une des merveilles de la littérature britannique. » Une seule des productions de cet écrivain a passé dans notre langue, les Confessions d’un mangeur d’opium ; mais, malgré le talent très-réel répandu dans cet ouvrage, malgré la profondeur de quelques aperçus, la nouveauté et la finesse de bien des observations, le public français n’y a fait aucune attention, et pour lui ces Confessions sont comme si elles n’étaient pas. Brunet.


QUINCY (Charles Sevin, marquis de), brigadier des armées du roi, né vers 1660, signala sa valeur dans les guerres que Louis XIV eut à soutenir contre les différentes puissances de l’Europe et fut récompensé de ses services par le grade de lieutenant général d’artillerie. Il se distingua dans la malheureuse bataille d’Hochstedt (1704) et y reçut une blessure. En 1707, il commanda l’artillerie sous les ordres du maréchal de Villars, et l’année suivante, il fit partie de l’armée commandée par l’électeur de Bavière pour agir sur le Rhin, tandis que Villars pénétrait en Italie. Après la paix d’Utrecht, il fut nommé lieutenant du roi au gouvernement de la province d’Auvergne. Il consacra ses loisirs à mettre en ordre les matériaux qu’il avait recueillis, et publia l’Histoire militaire du règne de Louis le Grand, roi de France, etc., Paris, 1726, 8 vol. in-4o, avec des cartes et des plans. « L’auteur, dit Voltaire, entre dans de grands détails,