Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 35.djvu/15

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y fut conduit dès qu’il fut en état de commencer son éducation. Il n’y apprit pas grand’chose, et il fut envolé au couvent de la Basmette, près d’Angers ; il y contracta des liaisons d’amitié avec les frères du Bellay, qui lui devinrent plus tard très-utiles. Quoiqu’il ne parût pas avoir une grande vocation pour la vie monastique, il entra dans le couvent des cordeliers à Fontenay-le-Comte, et y reçut la prêtrise en 1511, selon une date qui ne repose d’ailleurs que sur un témoignage assez contestable. Son esprit pénétrant et avide d’inatruction l’amena à se livrer avec ardeur à l’étude ; il se perfectionna dans le grec, langue alors très-peu répandue en France, et toute l’ancienne littérature lui devint familière. Sa mémoire était infatigable, sa pénétration ne connaissait pas de rivale. L’ignorance et la sottise des moines avec lesquels il vivait le choquaient vivement ; il s’en consolait en entretenant des relations avec quelques hommes distingués de la province, avec Tiraqueau, lieutenant général au baillage de Fontenay, qu’il a qualifié de bon, de docte, de sage ; avec Jean Bouchet, littérateur plus zélé qu’habile ; avec le prieur Geoffroi d’Estissac. De plus en plus brouillé avec ses confrères, il finit par être de leur part l’objet d’une persécution rigoureuse ; le chapelain le condamna à l’in pace, c’est-à-dire à une prison perpétuelle dans les cachots du’monastère. On ignore sur quels motifs se basait une sentence aussi sévère. La tradition parle d’une plaisanterie audacieuse du frère François, qui, s’affublant du costume du saint fondateur de l’ordre, se plaça au lieu de sa statue dans l’église du couvent ; il fit un mouvement lorsque de pieux fidèles étaient agenouillés devant lui, et la foule cria d’abord au miracle ; mais la vérité ne tarda pas à ètre reconnue, et le téméraire imposteur fut rudement flagellé. On a prétendu aussi qu’il avait distribué dans le couvent des drogues très-excitantes, dont l’effet fut d’amener des scènes scandaleuses. Il faut se défier de ces rumeurs qu’aucun témoignage positif ne confirme ; mais la gaieté maligne et audacieuse de Rabelais, son peu de respect pour les convenances rendent assez vraisemblables d’imprudentes et répréhensibles plaisanteries. Fort heureusement pour lui, Tiraqueau connut le triste sort réservé à son ami ; de concert avec quelques habitants de Fontenay, qui goûtaient la conversation spirituelle et savante de cet étrange cordelier, il parvint à le délivrer, mais ce ne fut pas sans peine. On a prétendu qu’il fut nécessaire d’enfoncer la porte du couvent. Rabelais s’empressa de s’éloigner de Fontenay, et il entra dans l’abbaye de Maillezais, ce qui faisait de lui un bénédictin. Ses protecteurs lui firent obtenir en 1526 un induit du pape Clément VIII qui régularisa sa position nouvelle. Il pouvait alors se livrer à l’étude avec une assiduité qui n’aurait pas été à sa place dans l’ordre de St-François ; mais son amour pour la

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liberté, son goût pour une vie indépendante, son humeur caustique rendaient pour lui intolérable le séjour d’un cloître. Il ne tarda pas à jeter le froc aux orties, et il se mit à courir le monde. On conclut, de quelques passages de ses écrits, qu’il alla à la Rochelle, à Bordeaux, à Toulouse ; il passa ensuite à Montpellier, y étudia un moment la médecine, s’occupa ensuite du droit, et courut successivement à Avignon, à Valence, à Angers, à Bourges, à Orléans, séjournant dans les diverses villes universitaires. Tel est du moins l’itinéraire qu’il fait suivre à l’un des héros de ses récits, et il est permis d’y voir le récit des pérégrinations de Rabelais lui-même. Au milieu de cette vie vagabonde, il trouvait le moyen d’étendre de plus en plus l’instruction déjà fort solide qu’il possédait, et il observait d’un regard attentif la société qui l’environnait. Vers 1525, autant du moins qu’on peut mettre en avant des dates, lorsque les informations formelles font défaut, il se trouvait au chàteau de Glatigny, dans le Perche, résidence favorite des frères du Bellay, qui venaient s’y reposer après leurs campagnes ou leurs ambassades. La gaieté intarissable et malicieuse de Rabelais amusait beaucoup ces grands seigneurs ; il parait aussi qu’il corrigeait des vers latins dont l’évêque Jean du Bellay se croyait l’auteur. La cure du village de Souday était à la nomination des seigneurs de Glatigny, et il parait que Rabelais fut appelé à ce poste, où d’ailleurs il ne resta pas longtemps. De vieilles traditions ont conservé le souvenir de plusieurs des plaisanteries dont sa gaieté intarissable était prodigue ; mais ces anecdotes, d’une authenticité douteuse, ne sauraient trouver place dans cette notice, qu’elles allongeraient trop, et nous cherchons à nous en tenir à des faits bien constatés. On a supposé que Rabelais, attaché à la maison du Bellay comme médecin et comme secrétaire, avait accompagné l’évêque dans son ambassade en Angleterre en 1528 ; mais, à cet égard, il n’y a point de preuve certaine. Quelques mots relatifs aux moeurs britanniques pourraient seuls fournir à cet égard un peu de probabilité. Quoi qu’il en soit, il paraît certain qu’à cette époque Rabelais, obéissant à son humeur indépendante et vagabonde, à son désir de s’instruire, au besoin de se mettre à l’abri des tracasseries que pouvaient lui susciter ses opinions hardies, prit le parti de se dépayser. Il alla à Montpellier, où il se livra à l’étude de la médecine ; il s’inscrivit le 16 septembre 1530 sur les registres de l’école ; le 1er novembre, il fut reçu bachelier, quoique les délais de rigueur ne fussent pas écoulés ; il expliqua avec succès Hippocrate et Galien, et il acquit promptement une réputation méritée. Il fut envoyé à Paris pour plaider auprès du chancelier Duprat la cause de la faculté, dont les priviléges avaient été attaqués. On raconte que, ne pouvant obtenir une audience, il eut recours à un déguise-