Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 36.djvu/467

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membre de l’académie de la Crusca. Les ouvrages de Rosasoo sont très-estimés en Italie, où ils ont obtenu plusieurs éditions, savoir : 1° Il rimario toscano di voci piane sdrucciole e tronche, tratte dal vocabolario della Crusca, Padoue, 1763 ; 2° Della lingua Ioscana, dialoghi setle, Turin, 1777, 2 vol. in-8° ; 3° La grammatica italiana ; 4° Il fini mondo, ouvrage très-curieux sur le système de la fin du monde. Rosasco le composa en 1791, dans une maison de campagne, au village de Montù-Beccarie, où il mourut bientôt après.

G-G-y.


ROSCELIN, célèbre chanoine de Compiègne vers le milieu du 11e siècle, se rattache à une des parties les plus importantes de la philosophie du moyen âge par la part qu’il prit au fameux débat du nominalisme et du réalisme. Cette question n’est pas absolument une nouveauté dans l’histoire du moyen âge ; elle se lie à la philosophie ancienne et remonte aux plus beaux temps de celle-ci dans la Grèce ; mais le goût des scolastiques pour les disputes grammaticales exagéra moins encore son importance, qui était réelle, que sa part trop exclusive dans la science. De ce qui était une portion bornée de la logique, on t la base de la philosophie, et c’est ainsi que le moyen âge ignora toujours, dans l’étude de l’homme, la véritable méthode qui est le fondement de toute connaissance. Cette querelle du nominalisme, déjà si remplie d’intérêt parce qu’elle nous donne la clef de la scolastique et de sa véritable valeur comme science, remonte, suivant les uns, à Roscelin, chanoine de Compiègne, suivant les autres, à un auteur peu connu qu’on croit avoir été son maître, et dont l’histoire n’a conservé qu’une trace assez obscure sous le nom de Jean le Sourd[1]. Ce Jean le Sourd, Joannes Sardua, aurait, selon Duboullay, été médecin du roi Henri Ier. Il était de Chartres, et aurait reçu le surnom de Surdu à cause de son infirmité naturelle. Ce Jean le Sourd aurait enseigné la doctrine que l’on attribue d’ordinaire au nominalisme et aurait eu un assez grand nombre d’élèves, parmi lesquels se serait trouvé Roscelin, chanoine de Compiègne. Il est assez difficile de pénétrer ce que pouvait être la doctrine de Jean le Sourd ; mais on peut deviner, d’après les savantes conjectures de M. Cousin[2], qu’elle consistait dans l’exposition de l’opinion suivante, savoir : que les universaux, c’est-à-dire les espèces et les genres, n’étaient pas des réalités, mais des fictions du langage, des noms, par conséquent que ces universaux n’étaient pas quelque chose par eux-mêmes et en dehors des objets réels : qu’il n’y avait d’existences propres que les existences individuelles ; que les idées générales n’étaient autre chose que de pures conceptions de l’esprit et des formes du langage. Voilà tout ce que nous recueillons de Jean le Sourd et de son enseignement. Fut-il le maître de Roscelin ? Cela n’est pas bien prouvé ; d’ailleurs il se peut seulement que celui-ci ait étudié sous lui sans que Jean ait formé ses opinions, et l’incertitude qui règne à cet égard ne laisse pas moins subsister le fait que si Roscelin n’a pas été, à proprement parler, l’auteur du nominalisme reproduit d’après les écrits logiques de Boëce et de Porphyre, il a du moins été le premier qui l’ait publiquement enseigné et mis en lumière, comme le reste de sa carrière va nous l’apprendre. Développer cette opinion, l’ériger en forme de doctrine et de système, telle fut la vie de Boscelin, la source de ses malheurs et des persécutions qu’il éprouva. L’histoire se montre assez peu riche en renseignements sur cet homme remarquable ; on est souvent obligé de se diriger par des conjectures ; voyons toutefois ce qu’elle nous a conservé. On le croit généralement né en Bretagne, sans que l’on sache précisément dans quel lieu. Quelques-uns l’appellent Rucelin ou Ruzelin. Les Annales d’Aventin[3] donnent la Bretagne pour patrie à Roscelin ; elles sont en cela d’accord avec un autre recueil historique d’une grande autorité, les annales de St-Benoît, qui affirment le même fait[4]. Il fut successivement clerc de la cathédrale de Chartres et chanoine de Compiègne. Distingué de bonne heure par son esprit et ses connaissances, il obtint la faculté d’enseigner dans la cathédrale, et devint écolâtre ou scolastique ; il y donna des leçons publiques, ce dont ne permet guère de douter le titre de maître ou docteur de Compiègne. qui lui est attribué par ses contemporains. Ce fut donc à Compiègne, ville alors florissante et où les études littéraires avaient obtenu un développement important, que se donnaient les leçons de Roscelin ; grâce à ses talents, il réunissait autour de lui tous les hommes remarquables du temps et la foule des jeunes gens qui venaient s’instruire dans la nouvelle philosophie. On y voyait Adélard de Bath, Pierre de Cluny, Odon de Cambrai, Guillaume de Champeaux et le célèbre Abélard. Ce fut dans ces leçons que Roscelin, se passionnant pour la doctrine professée par Jean le Sourd ou le Sophiste, la développa et l’appliqua à une fausse interprétation du mystère de la Trinité ; sans cette conséquence extrême de ses opinions, sa doctrine n’aurait sans doute pas joui d’une pareille célébrité. Il faut remonter un peu plus haut dans l’histoire pour saisir le lien qui unit la philosophie de Roscelin avec celle de l’antiquité. Boëce en fut un des auteurs dès la renaissance des lettres chré-

  1. De Gérando, Histoire comparée des systèmes de philosophie, t. 4, p. 395.
  2. Introduction aux Œuvres d’Abélard, p. 87 et suiv.
  3. Annal. Boior., liv. 6, p. 195.
  4. Per id tempus turbas in scholis excita bat famosus quidam magister, Roscelinus nomine, domo Britto, Armoricus canonicus Conpendíensis, quem sectæ nomination principuum ínstitutorem fuisse tradunt, quam opinionem Abelaadus, ejus conterraneus et discipvlus postea propagavit. Roscelini error is erat : in Deo tres personas esse tres res ; aut Patrem et Spiritum sanctum cum filio esse incarnatum. Mabillon, Annales ord. S. Benedicti, liv. 67, n°78, t.5 ; Hist. litt., t. 9, p. 359.