Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 36.djvu/535

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des combinaisons prétendues protectrices qui ne servaient qu’a lui enlever des débouchés. L'industrie manufacturière commençait à vouloir faire un principe de la protection, qu’elle avait eu jusqu’alors la modestie de présenter comme un expédient. — Rossi combat ces excès de protectionnisme avec l’impartialité de la science et l’autorité de la chaire. Il maintient le principe de la liberté du commerce, en tenant compte des exceptions, à condition qu’elles ne soient pas trop nombreuses, et des transitions nécessaires, à condition qu’elles ne prétendent pas s’éterniser. Rien de plus vigoureux et de plus lumineux tout ensemble que sa défense de la théorie des débouchés, il montre dans la liberté du commerce un principe qui repose sur le double fondement de la justice et de l’utilité et qui peut convoquer en sa faveur les meilleurs sentiments des peuples comme les intérêts les mieux compris de la civilisation. Aujourd’hui encore, alors que la liberté des échanges a donné lieu à tant d’écrits remarquables, les leçons de Rossi sur ce sujet, ces leçons dans leurs sobres et sûrs développements, dans la calme élévation de leurs principes, dans l’étude attentive qu’on y trouve de l’influence exercée par les révolutions économiques, qui font passer les peuples du régime des prohibitions à un état plus digne de leur maturité, doivent être considérées comme une des plus belles démonstrations de la vérité économique en cette matière. — Ceux qui suivent avec intérêt le mouvement de la science économique avaient lu les deux premiers volumes du Cours d’économie politique de Rossi (Paris, 1839-1840, in-8° ; seconde édition, Paris, 1843, in-8°). Le mérite élevé de cet ouvrage faisait désirer que la seconde partie vint compléter l’ensemble de ce travail. C’est cette lacune, longtemps regrettée, que les fils de l’illustre écrivain ont comblée en donnant au public le complément des œuvres de leur père. Les précédents volumes traitaient de la production de la richesse. Restaient les problèmes encore plus compliqués, devenus la préoccupation principale et le péril de notre temps, qui se rapportent à sa distribution dans la société. Restaient aussi les questions relatives à l’impôt, à l’emprunt, au crédit. L’amènent professeur examine ceux-la avec tout le développement désirable dans son troisième volume, et il aborde celles-ci dans le quatrième. Si le temps lui a manqué pour qu’il traitât à fond du crédit et de l’impôt, du moins les fragments dans lesquels il s’en occupe, suffisent-ils à marquer sa pensée en ce qu’elle a d’essentiel. — Toutefois, là n’est pas la partie la plus neuve des travaux de Rossi ; elle se trouve dans le volume qui roule sur les relations de l’économie politique avec les autres sciences morales. — Faire un Exposé des causes physiques, morales et politiques qui influent sur la production, c’était sortir de la pure généralité scientifique, c’était unir aussi intimement que possible le concret à l’abstrait, c’était rendre compte des choses dans leur origine et dans leur développement naturel. Par cela seul que toute science est condamnée à isoler son objet pour le mieux étudier, elle risque de perdre un peu le sentiment des rapports et de substituer une simplicité factice et excessive à l’unité du monde réel, unité si variée et si compliquée. Nul doute qu’en ce qui concerne les faits économiques, s’ils ont leur nature et leurs lois propres, ils tiennent aussi par leurs racines à beaucoup d’autres faits d’ordre différent. C’est ainsi qu’ils dépendent en partie des mœurs, de l’état civil, de la religion, des lieux, des climats, des races. Comment en serait-il autrement, puisqu’ils ont pour point de départ l’homme et la nature pour théâtre ? Un pareil sujet suppose une connaissance approfondie de l’histoire. À moins de se contenter d’une vague esquisse, il exige des notions étendues en morale, en droit public, en géographie physique et politique. Rossi, maître dans quelques-unes de ces branches de la connaissance humaine, n’était complétement étranger à aucune. Aussi, bien qu’en ne puisse voir dans son travail qu’une ébauche, les onze leçons consacrées à mettre les faits économiques en rapport avec les causes qui les modifient sont l’œuvre d’un esprit supérieur. — Un ouvrage destiné à développer la partie en quelque sorte philosophique de la science économique semblait surtout fait pour combattre, au nom des principes les plus élevés, ces organisateurs du travail et de la société qui substituent leurs vains projets au plan providentiel révélé par l’étude attentive des lois du monde moral et du monde économique. Rossi avait touché déjà ce sujet, de plus en plus à l’ordre du jour, avec son talent habituel, en traitant des salaires. L’analyse des profits et des salaires, telle qu’il la présente, se trouve sans doute en grande partie dans Adam Smith, qui a laissé peu à faire sur un pareil sujet. Mais les déclamations de quelques contemporains sur l’antagonisme du travail et du capital le contraignant à un examen de cette question plus attentif et plus approfondi. Il la résout dans le sens d’un accord essentiel, et, sans fermer les yeux avec un dangereux optimisme sur les causes de malentendu ou de conflit entre les ouvriers et les maîtres, conclut à la solidarité de leurs intérêts. C’est au nom de cette idée qu’il fait justice des utopismes rétrogrades qui prennent les essais et les tâtonnements du passé pour l’idéal de l’avenir. Après ce coup d’œil sur le savant et l’écrivain, passons à sa vie politique. — La vie politique de Rossi appartient à l’histoire de notre temps ; elle en forme un des plus dramatiques épisodes. Cet homme éminent, très-fin d’ailleurs, très-habile à tirer parti des événements et des hommes, porta dans chacun des postes qu’il remplit un désir élevé du bien public. Membre de la chambre des pairs en 1844,