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ficiers et des soldats, sans augmenter la dépense. Mais il avait débuté par réformer une partie de la maison du roi, comme trop coûteuse ; et cette opération lui avait suscité beaucoup d’ennemis parmi les privilégiés. Après la retraite de Turgot et de Malesherbes, il ne lui resta plus contre les courtisans d’autre appui que le monarque. Il songea alors à introduire dans les régiments la discipline allemande ; mais l’usage des coups de plat de sabre le rendit odieux aux soldats. Ses plans pour une nouvelle organisation de l’hôtel des Invalides et de l’école militaire furent désapprouvés généralement et accrurent les plaintes. Sentant que la tâche qu’en lui avait imposée était au-dessus de ses forces, il distribua le travail entre plusieurs officiers distingués. Le baron de Wimpfen et Grimoard étaient consultés par St-Germain. Gribeauval fut chargé de l’organisation de l’artillerie ; et le prince de Montbarrey (voy. ce nom), qu’en lui avait donné pour adjoint malgré lui, eut le choix des colonels ; mais, aux yeux du public, le ministre restait responsable de toutes les ordonnances qui paraissaient sous son nom. Parce qu’il remplissait avec exactitude ses devoirs religieux, on lui reprocha d’avoir conservé des goûts monastiques ; et on alla jusqu’à l’accuser de n’avoir désorganisé l’école militaire que pour trouver le moyen de donner des places à ses anciens confrères les jésuites. Abreuvé de dégoût, il offrit sa démission dans les premiers jours de septembre 1777. Elle fut acceptée ; et le prince de Montbarrey, que Maurepas appelait plaisamment le prince héréditaire, prit le portefeuille.

Le comte sortit du ministère comme il y était entré, sans fortune. Le roi lui accorda quarante mille livres de pension, avec un logement à l’Arsenal. Mécontent de lui-même et des hommes, le vieux guerrier ne fit plus que languir et mourut le 15 janvier 1778, avec le regret de n’avoir pu réaliser les plans qu’il avait conçus pour le bien public. On a, sous son nom, des mémoires, Amsterdam, 1779, in-8o. Cet ouvrage, qui contient des observations intéressantes, des particularités curieuses et des plans dont quelques-uns ont été réalisés dans les derniers temps, a été rédigé par l’abbé de la Montagne (voy. le Dictionnaire des anonymes, seconde édition, no 11517). Grimm les attribuait au baron de Wimpfen, de qui l’on a Commentaires des Mémoires de St-Germain, Londres, 1780, in-8o ; 1781, 2 vol. in-12. Grimoard a publié la Correspondance particulière du comte de St-Germain avec M. Pâris-Duvernay, Londres, 1789, 2 vol. in-8o ; le premier volume est précédé de la vie de ce ministre, écrite avec impartialité. Les Mémoires de la société d’émulation du Jura, année 1822, contiennent une notice sur St-Germain, par M. d’Arcier. Son portrait a été gravé in-8o.

W—s.


SAINT-GERMAIN (le comte de), aventurier du 18e siècle, et dont on n’a jamais su le véritable nom ni la famille. Une érudition immense, une mémoire imperturbable, jointes à un grand usage du monde et à un extérieur avantageux, l’aidèrent à tromper le vulgaire. C’est en Allemagne, pays de l’illuminisme, qu’il se fit connaître du maréchal de Belle-Isle, lequel était très-porté à se laisser duper par les charlatans de son espèce. Belle-Isle l’amena en France ; et St-Germain, selon l’expression du duc de Choiseul, devint l’âme damnée de ce ministre, auquel il avait fourni l’idée de ces fameux bateaux plats qui devaient servir à faire une descente en Angleterre. Bientôt il gagna l’amitié de madame de Pompadour, qui le présenta au roi. Louis XV lui donna un appartement à Chambord ; et se plaisait tellement à sa conversation qu’il passait des soirées entières avec lui, chez madame de Pompadour. St-Germain ne paraissait pas plus embarrassé de jouer son rôle devant les rois ou les ministres qu’en présence des hommes les plus vulgaires. Les Mémoires de madame Duhausset, femme de chambre de madame de Pompadour[1], et surtout ceux du baron de Gleichen[2] (voy. ce nom), ouïrent à.ce sujet quelques anecdotes curieuses. Il dit un jour à Louis XV que, pour estimer les hommes, il ne faut être ni confesseur, ni ministre, ni lieutenant de police. Louis XV lui dit : ¢ Et roi ? — Ah ! sire, dit-il, vous avez vu le brouillard qu’il faisait il y a quelques jours ; on ne voyait pas à quatre pas. Les rois (je parle en général) sont entourés de brouillards encore plus épais, que font naître autour d’eux les intrigants, les ministres infidèles ; et tous s’accordent, dans toutes les classes, pour leur présenter les objets sous un aspect différent du véritable. » Un autre jour St-Germain fit voir à madame de Pompadour une petite boîte qui contenait des topazes, des rubis, des émeraudes, pour une valeur immense. Il affectait pour ces richesses le plus grand dédain, tout en les étalant avec une sorte d’appareil. Il donna à madame Duhausset, qui raconte l’anecdote, « une petite croix de pierres blanches et vertes, qui valait plus de quinze cents francs. Madame de Pompadour, charmée des manières généreuses du comte, lui fit présent, quelques jours après, d’une boîte émaillée, sur laquelle était le portrait de je ne sais plus quel sage de la Grèce, pour faire comparaison avec lui. » C’est ce jour-là qu’il raconta à madame de Pompadour l’histoire du marquis de Moncade, dont il avait été témoin, disait-il, il y avait soixante ans. La marquise, charmée de cette anecdote piquante, en fit faire une comédie. Le comte lui envoya l’histoire par écrit, telle que madame Duhausset l’a copiée dans ses mémoires. On peut juger par cette pièce qu’il écrivait avec autant d’esprit que de grâce. Le comte de Glei-

  1. Imprimés pour la première fois dans les Mélanges d’histoire et de littérature, tirée d’un portefeuille (par Graufurd), Paris 1809. in-ae.
  2. Ces mémoires sont inédits ; mais il en existe un extrait assez étendu dans le Mercure étranger, 1813, t. Ier, p. 253.