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dyle, qui lui apprirent le latin et le grec. Telle était la facilité avec laquelle elle parlait et écrivait ces deux langues, qu’elle put se charger du rôle d’Electre dans la tragédie de ce nom, de Sophocle, et répondre aux épigrammes grecques que lui adressait Politien avec lequel elle ne craignait pas de se mesurer. Plusieurs de ces pièces ait été imprimées avec les opuscules de Politien, recueillis et publiés par Acciajuoli. Alessandra mourut à Florence en 1506.

A-G. s.


SCALIGER (Jules-César), L’un des savants les plus célèbres qui aient paru depuis la renaissance des lettres, quoique doué de grands talents en avait moins encore que de vanité. Pour rehausser son mérite personnel par l’éclat d’une haute naissance, il se fit une généalogie fabuleuse et s’attribua des aventures qu’il est nécessaire de retracer en peu de mots. Prétendant descendre de la Scala, souverains de Verone (en latin Scaligeri, Jules-César se disait le fils de Benoît de la Scala, l’un des plus vaillants capitaines du 15e siècle (1)[1], et de Bérénice, fille, du comte Paris Lodronio. Né en 1484 au château de Riva, sur les bords du lac de Garde, il fut soustrait par sa mère aux perquisitions qu’y firent les Vénitiens pour s’emparer des derniers rejetons de l’antique maison des princes de Vérone. On lui donna pour précepteur le fameux Fra Giocondo (2)[2] (voyez ce nom), duquel il apprit les éléments des langues. Il fut ensuite présenté par son père à l’empereur Maximilien, qui l’admit au nombre de ses pages et le fit élever dans les exercices convenable, à sa haute naissance. Les guerres d’Italie lui fournirent des occasions de signaler sa brillante valeur. Echappé comme par miracle de la bataille de Ravenne, où son père et Tite, son frère aîné, périrent sous ses yeux, il recueillit leurs dépouilles et les fit inhumer à Ferrare. Sa mère succomba bientôt à sa juste douleur. Le duc de Ferrare, son parent, lui assigna une pension suffisante pour soutenir son rang ; mais, tourmenté du désir de recouvrer la seigneurie de Vérone, il imagina de se faire cordelier, dans l’espoir de devenir pape, pour arracher son héritage aux Vénitiens. Fatigué des pratiques minutieuses auxquelles ses supérieurs l’assujettissaient, il ne tarda pas de quitter le cloître pour rentrer dans la carrière des armes ; et ayant obtenu le commandement d’une compagnie de cavalerie au service de France, il se signala dans la guerre du Piémont, tout en étudiant les langues, la philosophie et la médecine. Enfin, cédant aux sollicitations d’Antoine de la Rovère, évêque d’Agen, il consentit à suivre ce prélat dans sa ville épiscopale, où il devait trouver le terme de sa vie aventureuse. Tel est l’incroyable récit de Scaliger ; et telle était l’ad

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miration que ses talents inspiraient à ses contemporains, qu’il n’en est aucun qui se soit avisé de contester ses droits sur la principauté de Vérone. Mais la vérité se fait jour tôt ou tard et finit par percer les nuages dont on a voulu l’envelopper. Indépendamment de Scioppius (voy. ce nom), outre les littérateurs qui se sont occupés de débrouiller la généalogie de Scaliger, on doit distinguer Maffei, dans la Verona illustrata, et Tiraboschi, dans la Storia della letteratura italiana. C’est d’après ces deux écrivains dont la sagesse et l’impartialité sont bien connues, que nous allons présenter au lecteur la vie réelle de notre héros, Jules César était fils de Benoît Bordoni, peintre en miniature et géographe (voy. Bordoni). Il est assez vraisemblable qu’il naquit à Padoue, où son père faisait sa résidence habituelle ; mais Vérone et Venise se disputent l’honneur de lui avoir donné le jour. Il reçut au baptême le nom de Jules ; et ce ne fut que longtemps après qu’il s’avisa d’y joindre celui de César. Après avoir étudié sous Caelius Rhodiginus, à Padoue, et achevé ses cours à l’université de cette ville, il visita la haute Italiedans le dessein d’accroître ses connaissances et de trouver des protecteurs dont la générosité pût suppléer à son défaut de fortune. Accueilli dans les premières maisons de Vérone, Jules Bordoni (c’est le nom qu’il portait alors) put y voir Constance Ranona, femme de César Frégose, qu’il a tant célébré dans ses vers ; mais s’il fut touché des attraits de cette dame, il eut la discrétion de ne point lui découvrir ses sentiments. À la culture des lettres il joignait celle des sciences et pratiquait la Médecine avec quelque succès. Charmé de son mérite, Ant. de la Rovère, évêque d’Agen (1)[3], le choisit pour médecin et l’amena dans cette ville en 1323 Peu de temps après son arrivée, ayant eu l’occasion de voir Andiette de Roques-Lobejac, il la demanda en mariage. Les obstacles qu’il rencontra ne firent qu’accroître sa passion, et il résolut de se fixer en France. Pour pouvoir exercer librement son état, il sollicita des lettres de naturalisation (2)[4], qui lui furent expédiées, en 1528, sous le nom de Jules-César de Lescalle de Rordams (3) ([5]., docteur en médecine. On voit par le changement qu’il avait fait subir à son nom qu’il songeait à s’attribuer une autre origine ; mais il ne savait pas encore qu’il descendait des anciens Scaligeri, ni, comme son fils l’a prétendu depuis, qu’il était comte de Burden. Il reçut, l’année suivante, le prix de son amour en épousant Andiette, qui n’avait que seize ans. Malgré la disproportion d’âge, il vécut heureux avec sa

  1. (1) On a remarqué que ce grand capitaine n’est cité par aucun historien.
  2. (2) Scaliger ignorait même l’ordre auquel appartenait Fra Giocondo ; et il est très-probable qu’il ne l’avait jamais vu.
  3. (1) Ant. de la Rovère occupa le siège d’Agen depuis 1518 jusqu`en 1538. Voy. le Gallia christiana.
  4. (2) Ces lettres sont imprimées dans le Dictionnaire de Bayle, au mot Vérone.
  5. 3) Probablement par une faute du copiste, pour Borduis, comme Lamonnoye le remarque très-judicieusement dans ses additions au Menagiana, t. 2, p. 327