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gna un traitement honorable. L’année précédente, Scaliger, catéchisé par Viret et Chaudieu (voy. ces noms), avait embrassé la religion réformée ; mais il est probable qu’il ne la professait pas encore ouvertement. Il trouva dans la générosité de son patron les moyens de satisfaire son goût pour les voyages, et visita successivement les principales universités de France et d’Allemagne. Pendant son séjour à Valence, où l’avait attiré la haute réputation de Cujas, il eut l’occasion de voir de Thou, avec lequel il se lia d’une étroite amitié. Il se trouvait à Lausanne quand on y reçut l’avis du massacre de la St-Barthélemy. Cette nouvelle l’obligea de retourner à Genève ; et on s’efforça de l’y retenir par l’offre de la chaire de philosophie ; mais il s’excusa de l’accepter, disant qu’il ne se croyait pas les talents nécessaires pour la remplir dignement. Il revint depuis plusieurs fois dans cette ville ; et on voit par deux lettres de Giphanius (voy. GIFFEN), insérées dans le Sylloge epistolar de Burmann, (t. 2, p. 306), que Scaliger, en 1578, y donna des leçons de philosophie. Il ne resta pas longtemps à Genève, puisqu’on le retrouve dès l’année suivante dans la terre de la Roche-Posay près de Tours, où l’on sait que la plus grande partie de ses ouvrages ont été composés. On peut conjecturer qu’il profita d’un voyage de son patron à Rome pour visiter l’Italie et le royaume de Naples, d’où il rapporta de nombreux fragments d’antiquités et une foule d’Inscriptions, dont il fit présent à Gruter, qui les a publiées dans son Thesaurus. On sait aussi que Scaliger fit un voyage eu Écosse ; mais il n’en reste presque aucune trace dans ses lettres, de sorte qu’on ne peut en déterminer l’époque. Il était depuis plusieurs années tranquille au milieu de ses livres, dans la belle terre de Preuilli, quand il fut invité par les États de Hollande, en 1591, à venir occuper à l’académie de Leyde la chaire que la retraite de Juste-Lipse laissait vacante. Scaliger prit le chemin de Leyde en 1393 ; mais ni l’accueil qu’on lui fit, ni les témoignages d’estime que lui prodiguaient les personnages les plus distingués ne purent l’empêcher de regretter les années qu’il avait passées à Preuilli. Placé par l’opinion, avec Juste Lipse et Casaubon, au premier rang dans la république des lettres, il jouissait en paix de la gloire qu’il avait acquise ; mais dans une lettre qu’il écrivit, en 1594, à Jean Dousa (voy. ce nom), sur l’ancienneté de la maison de Scaliger, ajoutant encore aux fables inventées par son père, il prétendit la faire remonter jusqu’à Alain, restaurateur de Vérone, au temps de la fondation de Venise (Epist., p. 9, édition de 1627). Cette lettre, par laquelle il se flattait de réduire ses ennemis au silence, ne fit qu’en accroître le nombre. Scioppius, le plus passionné de tous, n’eut pas de peine à démontrer la fausseté de cette généalogie et y signala cinq cent quatre-vingt-dix-neuf mensonges. Aux injures de ce redoutable adver

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saire, Scaliger répondit par d’autres injures et mourut en excitant ses amis à le venger. Une hydropisie l’emporta le 21 janvier 1609. Baudius prononça son oraison funèbre ; et les curateurs de l’académie de Leyde consacrèrent à sa mémoire un monument décoré d’une inscription. Scaliger était un très-honnête homme, de mœurs pures et d’un commerce agréable. Il eut pour amis les plus illustres savants de son temps, tels que Juste Lipse, Casaubon, Grotius, Heinsius, les Dupuy, Saumaise, Vossius, Velser, P. Pithou, etc., et il leur communiquait avec empressement le résultat de ses recherches. Quoique zélé protestant, il ne prit aucune part aux querelles religieuses, et il avouait qu’il n’aimait rien de tout ce qui sentait la contreverse. Doux et modeste dans l’intimité, il portait dans la discussion le ton tranchant de son père. Sa vanité se réveillait dès qu’on avait l’air de douter de sa noblesse ; et alors il ne disait plus que des folies. Scaliger est le véritable créateur de la chronologie, perfectionnée par le P. Pétau, qui sut mettre à profit les erreurs comme les découvertes de son devancier. Scaliger a commenté plus ou moins heureusement les ouvrages de Varron (voy. ce nom), de M. Verrius Flaccus, et Pomponius Festus (1)[1] ; Catulle, Tibulle et Properce, Ausone, Manilius (2)[2] ; l’Eglogue de Lucain à Calpurn. Pison (3)[3] ; les Tragédies de Sénèque, Théocrite, Moschus et Bion ; les Dionysiaques de Nonnus ; les Satyres de Perse ; les Vers d’Empédocle ; et les Commentaires de César. On lui doit, en outre, des notes sur le Nouv. Testam. grec, sur la Version latine qu’en a donnée Théodore de Bèze ; sur le traité de Tertullien, Du manteau ; sur le livre d’Hippocrate, des Blessures à la tête, etc. Il a traduit en vers grecs un choix des Epigrammes de Martial, et les Sentences de Publius Syrus et de Caton ; en vers ïambiques latins, la Cassandra de Lycophron, qu’il a, par un tour de force dont lui seul était capable, su rendre non moins inintelligible encore que l’original (voy. LYCOPHRON) ; l’Ajax furieux de Sophocle, et les Epigrammes d’Agathias ; en prose, l’Onciricrition d’Astrampsychus et deux centuries de Proverbes arabes (voy. ERPENIUS). Parmi ses ouvrages, on se contentera de citer : 1e Virgilii Maronis appendix, cum supplemento multorum antehac nunquam excussorum poematum veterum poetarum ; et commentariis, et castigationibus, Lyon, 1572, in-8o de 548 pages. Scaliger dédia ce recueil à Cujas. C’est la première édition des Catalectes, c’est-à-dire des pièces des anciens auteurs qui ne nous sont pas parvenues tout entières. Elles ont été traduites en français par l’abbé de Marolles (voy. ce nom) ;

2e Stromateus proverbio-

  1. (1) J. Scaliger prétendait que Melch. Guilandin n’avait semé des bruits injurieux à sa maison que pour se venger de quelques traits qu’il lui avait lancés dans ses Notes sur Festus.
  2. (2) « Je n’ai, dit Huet, écrit sur Marcile que pour faire voir que dans ses trois éditions de ce poète Scaliger a entassé fautes sur fautes et ignorances sur ignorances. » (Huetiana, p. 13.)
  3. (3) Paulmier de Gretemesnil vengea Lucain des injures de Scaliger père et fils (voy. PAULMIER).