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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 40.djvu/575

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incomplètes. Il cite à cette occasion Galien, Celse, Paul d’Égine, parmi les anciens, et Benedetti. Fallope, Vésale, Paré, Schenk, parmi les modernes, presque tous ses contemporains. Cette opération, dit-il, est fondée sur l’art de greffer ; car on ente une partie vivante du corps sur une autre, à peu près de la même manière qu’un bourgeon sur un arbre. Mais l’on se tromperait fort si l’on croyait remplacer les cartilages du nez ou des oreilles par les muscles du bras ou de tel autre endroit charnu du corps. Ce n’est que par l’épiderme qu’on peut espérer de réparer ces membres mutilés ; car il n’y a que la peau qui soit (presque partout la même, et il ne peut y avoir adhésion qu’à la surface et entre des parties analogues. Tagliacozzi fait cependant l’énumération de quatre espèces de peau, et en accordant la préférence à celle du bras, il rejette expressément la peau du front comme difficile à se joindre et d’un autre tissu que celui du nez. Les joues lui paraissent trop musculeuses, et il ne croit pas que l’on puisse écorcher les mains et les pieds sans compromettre la vie. Il ne trouve rien de si convenable que la partie du bras au-dessus du coude. Il conseille au chirurgien opérateur de prendre plutôt un grand lambeau qu’un trop mince, parce qu’il vaut beaucoup mieux avoir un gros nez qu’on petit : Minus enim malum est amplas gestare nares et prolixas… quam imminutas et deformes. Il n’est pas rare, dit-il, de voir croître le poil sur ces nouvelles narines, et dans ce cas, on est obligé de se faire raser le nez. Il examine ensuite l’âge, la constitution, l’état de santé, la saison, l’heure même dans laquelle l’opération peut être essayée avec succès. Il discute s’il vaut mieux se servir de la peau d’un tiers que de celle du blessé, et quoiqu’il ne doute pas que la greffe ne puisse avoir lieu en employant la peau d’un autre, il regarde néanmoins comme presque impossible d’assujettir deux personnes à un état d’immobilité parfaite pendant un assez grand espace de temps. Il lui paraît même peu probable qu’une pareille méthode ait jamais été pratiquée. Dans le second livre de son ouvrage, Tagliarozzi décrit l’opération et fait connaître les instruments et l’appareil dont on a besoin pour l’exécuter. Nous renvoyons au traité même ceux qui seraient curieux d’en apprendre les détails. Depuis l’apparition de ce singulier ouvrage, personne n’avait songé à revenir sur le même sujet, si ce n’était pour en donner quelque idée. Fyens (voy. ce nom), un des élèves de Tagliacozzi, consacra plusieurs chapitres d’un livre intitulé De præcipuis urtís chirurgicœ controversiis, à présenter un aperçu de la méthode de son maître. À en juger d’après l’énoncé de ce travail (De nasi amputati ex carne brachii restitutione), l’on dirait que l’auteur partage l’erreur commune de son temps de croire que l’on réparait les nez avec de la chair, tandis qu’il dit expressément : Non fit scissio in musculis brachii, sed tantum in cute. Mais il se trompe lorsque, en supposant qu’on puisse faire usage du bras d’un autre, il cite l’autorité de Tagliacozzi, qui, tout en admettant le principe, se montrait peu disposé à en adopter les conséquences. Ce qu’il y a de plus important dans l’ouvrage de Fyens, c’est le passage où il déclare avoir été témoin de plusieurs guérisons obtenues par son maître. Cette opération, qui paraît avoir été très-suivie en Italie, ne fut presque point accueillie dans le reste de l’Europe, et sans le cas, cité par Hildan, d’un nez amputé et remis en 1592, par Griffon, à Lausanne, on ne pourrait citer aucun exemple de pareilles opérations entreprises hors d’Italie, les chirurgiens s’étant bornes. dans les autres pays. À discuter sur la possibilité ou l’impossibilité de la méthode de Tagliacozzi. Chez les Italiens mêmes, il y eut des professeurs qui la rejetèrent comme impraticable, et un Génois nommé Della Croce (voy. ce nom), qui, en 1612, remplissait une chaire de médecine à Rome, en parlait comme d’une chose absurde et ridicule. On peut juger de ce que l’on en pensait dans les autres parties de l’Europe d’après un passage des Institutions chirurgicales d Heister (voy. ce nom), qui, en 1739, écrivait que, lorsqu’on a le malheur de perdre son nez, la meilleure manière de le remplacer, c’est d’en commander un autre en bois ou en argent (chap. 73), et l’ouvrage d’Heister, traduit dans presque toutes les langues, a été, pendant un demi-siècle, le seul traité général que possédât la chirurgie moderne. Les rêves des partisans de la sympathie vinrent ajouter encore à l’incrédulité des antagonistes de Tagliacozzi. Le célèbre Van Helmont (voy. ce nom), en répondant à ceux qui attribuaient en grande partie le succès de cette opération à l’intervention du démon, raconte sérieusement l’aventure d’un Bruxellois, qui, ayant perdu son nez dans une bataille, en emprunta un autre sur le bras d’un laboureur, à Bologne. Il était tout fier de sa nouvelle acquisition, lorsqu’au bout de treize mois, il sentit tout à coup son nez se refroidir et tomber en putréfaction. Étonné de cet accident, il en demanda l’explication à son chirurgien Tagliacozzi, qui lui apprit qu’au même jour et au même instant où ce nez tombait à Bruxelles, le malheureux laboureur qui l’avait fourni rendait le dernier soupir à Bologne. « Il y a encore des personnes vivantes, ajoute l’historien, qui ont été témoins de ce fait, et je demande ce qu’il y a là d’incompréhensible ou de surnaturel[1]. » Robert Fludd fait à peu près le même conte dans sa réponse à Forster, qui avait osé révoquer en doute les vertus surprenantes de l’onguent Armarius[2]. La méthode Tagliacozzi était presque

  1. De magnetica vulnerum naturali et legitima curatione, Paris, 1621. in-8°, § 23.
  2. Responsum ad Hoplocrismaspongum Fosteri, Londres, 1631, in-4°.