Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 43.djvu/368

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France d’avoir le diable et des sorciers à ses gages ; elle s’en plaignit à Rome : Viète y fut traduit comme un négromant et un magicien ; ce qui prêta beaucoup à rire. Dans ses dernières années, il travailla sur le Calendrier grégorien, et crut y découvrir plusieurs fautes que d’autres avaient déjà signalées avant lui[1]. Il en dressa un nouveau, accommode aux fêtes et aux rites de l’Église romaine, le mit au jour en 1600, et le présenta au cardinal Aldobrandini, qui était alors en France. Mais la cour de Rome, opiniâtrement attachée aux usages qu’elle à une fois adoptés, ne changea rien à sa méthode ; et il ne résulta pour les peines du mathématicien français autre chose que les déclamations de Clavius contre sa personne et ses ouvrages. Cette querelle aurait même été poussée plus loin, si la mort de Viète, arrivée en 1603, n’y eût mis fin. C’était un homme simple, modeste, sobre, désintéressé. Il fut l’ami du résident de Thou, et il lui succéda. Il remplit celle charge sous Henri III, et il fut membre du conseil sous Henri IV. Son ouvrage d’analyse, où il expose pour la première fois une des théories les plus profondes et les plus abstraites que l’esprit humain ait inventées, est dédié à une femme illustre, Catherine de Parthenay, princesse de Rohan, sa bienfaitrice et son amie, qui excella dans toutes les sciences, et qui offrit au milieu des troubles civils un modèle héroïque de courage et de vertu. Je vous dois, lui écrit-il, la vie et la liberté ; et ce que j’ai de plus cher que la vie, je vous le dois encore. Le fruit de mes veilles vous appartient. Vos conseils m’ont porté vers cet art sublime, dont tous les secrèts vous sont connus. Ses ouvrages étaient devenus extrêmement rares, parce que, les faisant imprimer à ses dépens, il ne les livrait au public que par la distribution qu’il en faisait à ses amis, et à ceux qui entendaient les matières qu’il y traitait. François Schooten, aidé par Jacques Golius, et par le P. Mersenne, les recueillit en 1 vol. in-fol., Leyde, 1646. On n’y trouve pas ceux qui ont pour titre : Canon mathematicus, imprimé en 1579, Harmonicum celeste, ni quelques autres fragments. Z.


VIEUSSENS (Raymond), médecin anatomiste, ne en 1641 dans un village du Rouergue, appartient à l’école de Montpellier bien qu’il n’ait rempli dans cette ville que les fonctions de médecin de l’hôpital St-Eloy. Ce fut naturellement sur les parties du corps humain les moins délicates et les plus faciles à découvrir, que s’exercèrent les premiers anatomistes z les os. les muscles, les viscères de la poitrine et du bas ventre furent le principal sujet des travaux de Vesale, de Fallope, d’Eustachi et des autres créateurs de l’anatomie. Un siècle plus tard, Thomas Willis, par son traité sur l’anatomie du cerveau et des nerfs, ouvrit une nouvelle carrière ; mais le traité de Willis appartenait plutôt à l’anatomie des animaux qu’à anatomie humaine, tandis que le principal ouvrage de Vieussens, publié pour la première fois à Lyon, en 1685, malgré son titre trop ambitieux de Névrographie universelle, Nevrographia universalis, n’offre que la description du cerveau, de la moëlle de l’épine et des nerfs de l’homme, mais incomparablement plus ample et plus fidèle que tout ce qu’on avait fait jusqu’à cette époque. Le mérite de Vieussens ne consiste pas seulement dans une exposition plus méthodique et plus exacte de l’appareil nerveux ; il fait connaître plusieurs circonstances, auparavant ignorées, de l’organisation du cerveau et de la moelle de l’épine, et donne de cette dernière partie la plus juste idée. Contre le sentiment d’Hippocrate et de Galien, adopté jusqu’à nos jours, Vieussens enseigne que la moelle épinière ne doit pas être regardée comme une production du cerveau, qu’elle existe par elle-même et indépendamment de ce viscère, car elle ne diminue point progressivement à mesure qu’elle s’en éloigne, mais présente, au contraire, dans les divers points de sa longueur, des renflements dont le volume est proportionné à la grosseur des nerfs qui en partent, ou plutôt qui s’y rendent. Une planche assez bien gravée (Tabula XX) offre l’image parfaite de cette disposition, dont la connaissance est, comme on le voit, antérieure de plus d’un siècle aux travaux de nos contemporains. Vieussens, ainsi que Willis, a senti toute l’importance attachée à l’étude anatomique de cet appareil singulier, au moyen duquel les animaux et l’homme se mettent en rapport avec les objets extérieurs, éprouvent des sensations, se les rappellent, les combinent entre elles et prennent les diverses déterminations que le besoin de se conserver leur suggère. Toutefois, de nos jours seulement, l’on a bien compris que la première chose à faire dans l’étude de ces facultés admirables est de connaître avec exactitude la nature de l’instrument au moyen duquel elles s’exercent, afin de voir s’il n’existerait pas un rapport constant, calculable et nécessaire entre la disposition anatomique de l’organe et les fonctions qui lui sont confiées. Ces recherches suivies de toutes parts avec une ardeur qui n’a rien d’égal, sinon l’importance des résultats obtenus, et l’importance plus grande encore des résultats qu’on espère, ont appris déjà que l’instrument de la volonté et des idées, variable comme l’intelligence départie aux diverses espèces animales, le système nerveux et cérébral présente des différences de conformation, de volume, d’arrangement, de proportions, etc., etc., aussi nombreuses que l’étendue de l’intelligence et l’énergie de la volonté. Il est également reconnu que c’est toujours par l’extension et la multiplication des surfaces, au moyen de plicature, que la force des appareils médullaires ou nerveux se trouve augmentée par un mécanisme

  1. Montucla et Delambre ont combattu les idées de Viète sur ce point ; voy. l’Histoire des sciences mathématiques du premier.