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avec laquelle il avait fait périr ce prince, dont il était à la fois le gendre et le neveu, et de la dureté qu’eux-mêmes avaient éprouvée de sa part comme rebelles. Rhadamiste ne dut son salut qu’à la vitesse des chevaux sur lesquels ils se sauvèrent l’un et l’autre. Zénobie était enceinte. La crainte de l’ennemi et sa tendresse pour son époux lui firent supporter les premières fatigues de la route. Bientôt, n’y pouvant plus résister, elle pria Rhadamiste de la dérober, par une mort honorable, aux outrages de la captivité. L’époux, saisi d’admiration pour tant de vertu, mais aussi tourmenté de la crainte que, s’il la laissait, un autre ne s’emparât de sa compagne adorée, ne put contenir sa jalousie, et la frappa de son cimeterre, puis la traîna vers l’Araxe, ne voulant pas même que son corps pût être enlevé. De là il regagna en toute hâte les États de Pharasmane, son père. Zénobie, que le courant avait amenée doucement sur le bord du fleuve, fut trouvée par des pâtres, comme elle respirait encore. Ils pansèrent sa plaie ; et ayant appris d’elle son nom et sa déplorable aventure, ils la transportèrent à la ville d’Artaxate, d’où elle fut conduite à Tiridate, roi d’Arménie, qui l’accueillit avec bonté, et la traita en reine. Cet événement, qui est de l’an 53 de J.-C., a fourni le sujet de la meilleure des tragédies de Crébillon.L—p—e.


ZÉNOBIE (Septimia), reine de Palmyre, gouverna cette ville et la plupart des provinces orientales de l’empire romain depuis 267, époque de la mort d’Odenath, son époux, jusqu’à l’an 272, où Aurélien la conduisit captive à Rome (voy. Odenath). L’intérêt romanesque dont le caractère de cette femme célèbre fut entouré aux yeux mêmes de ses contemporains a subjugué la postérité et jusqu’aux critiques modernes. « Ceux qui me blâment d’avoir triomphé d’une femme, écrivait Aurélien aux sénateurs, ne savent point quelle femme est Zénobie. Si Odenath a vu fuir Sapor devant lui, s’il a pénétré jusqu’à Ctésiphon, il l’a dû à la prudence et au courage de son épouse. » Ces éloges des contemporains ont été surchargés par la rhétorique puérile des écrivains de l’histoire Auguste. Une femme belle et courageuse, combattant près de son époux, partageant son temps entre les leçons de Longin, l’embellissement de Palmyre, et le gouvernement d’un vaste empire créé par elle et par Odenath ; quelle heureuse occasion d’allusions classiques aux Amazones[1], à Sémiramis[2] et à Cléopâtre ! Grâce à cet esprit romanesque, on a expliqué par les grandes qualités de Zénobie tout ce que les Arabes firent de glorieux trois siècles avant les conquêtes de l’islamisme. Nous ne connaissons guère le génie arabe que modifié par la religion de Mahomet ; combien il eût été curieux de l’étudier chez une tribu commerçante, où il avait éprouvé l’influence de la civilisation grecque ! d’expliquer ce phénomène singulier de l’existence de Palmyre, élevant ses portiques corinthiens au milieu d’une mer de sable, comme Venise au milieu des eaux ! Nous essayerons de rendre, au moins en partie, à la reine de Palmyre la physionomie originale que lui ont ôtée les historiens grecs et romains. Zénobie, fille d’Amrou, fils de Dharb, fils de Hassan, roi arabe, de la partie méridionale de la Mésopotamie, épousa en secondes noces le célèbre Odenath, chef des tribus du désert voisin de Palmyre, et l’un des sénateurs de cette ville puissante. Elle partagea les fatigues de son époux dans ces brillantes expéditions où les Arabes humilièrent l’orgueil de Sapor, et le poursuivirent jusqu’aux murs de Ctésiphon. Ce courage, que les Romains nous ont présenté comme un trait distinctif du caractère de Zénobie, paraît avoir été commun chez les femmes arabes ; c’était une nécessité de leur vie aventureuse au milieu du désert. Dans les premières guerres de l’islamisme, un grand nombre de femmes suivaient leurs pères et leurs époux. Le génie militaire des Arabes annonça sous Odenath l’essor qu’il devait prendre sous les premiers califes[3]. Ce vaillant chef avait repoussé les invasions des Perses et des Scythes, et Gallien n’avait pu sauver l’honneur de l’empire qu’en lui accordant le titre de général de l’Orient, dont il était déjà le maître. Il l’avait même reconnu pour Auguste, lorsque Odenath périt dans une fête où il célébrait le jour de sa naissance, assassiné par un de ses neveux et par un Méonius qui essaya inutilement de lui succéder. Selon quelques auteurs, le neveu d’Odenath avait voulu se venger d’un châtiment que lui avait infligé son oncle pour avoir dans une chasse frappé avant lui par trois fois les bêtes qu’ils poursuivaient. Zénobie punit les meurtriers, mais profita de leur crime et passa pour leur complice. Outre les deux enfants qu’elle avait eus d’Odenath (Hérennius et Timolaüs), elle avait de son premier époux un fils nommé Athénodore ou Ouaballath, dont les intérêts la rendaient ennemie implacable d’un fils de son époux appelé Ouorodes, l’objet de la prédilection d’Odenath, et qui devait lui succéder.

  1. Le même historien qui, bon gré, mal gré, porte au nombre de trente les généraux qui sous Gallien aspirèrent à l’empire, afin de pouvoir les comparer aux trente tyrans d’Athènes, Pollion disons-nous, paraît s’être efforcé d’assimiler la belliqueuse Zénobie aux Amazones de la Fable. La Fable raconte que les Amazones perpétuaient leur république en s’approchant à certaines époques des mêmes hommes avec lesquels elles étaient en guerre le reste du temps. L’historien judicieux, pour donner à son lecteur le plaisir de ce rapprochement, ne manque pas de nous assurer que Zénobie imitait à l’égard de son mari la réserve des Amazones.
  2. Gibbon lui-même ne peut s’empêcher de la comparer à Sémiramis, et de rappeler qu’au 18e siècle plusieurs femmes ont aussi soutenu glorieusement le fardeau d’un empire. La manière dont il s’exprime dans une note, au sujet du meurtre d’Odenath, est vraiment singulière lorsqu’on songe au peu de documents que nous avons sur ce point d’histoire : On a jeté des soupçons fort injustes sur Zénobie, comme si elle eût été complice de la mort de son mari. Le philosophe ne ménage-t-il pas ici la Sémiramis du Nord !
  3. Odenatus non solum orientem, quem jam in pristinum reformaverat statum, sed ommes omnino totius orbis partes reformasset, vir acer in bello, etc. Treb, Pollio, Triginta tyranni.