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août 1850, a, par la mystérieuse catastrophe qui termina sa vie, entraîné avec lui dans la tombe le caduc et dernier débris de cette race des Condé qui fut à la fois si glorieuse et si malheureuse. Mais le coup fatal qui termina prématurément la carrière des deux premiers princes de cette famille n’est plus qu’un souvenir historique déjà bien éloigné, tandis que notre génération, épouvantée il y a trente ans de l’assassinat lâchement politique du duc d’Enghien, frémit de demander tous ses secrets à la tombe du prince qui ne savait pas sans doute avoir si bien raison de déplorer le malheur de survivre à son fils. Jusqu’à la révolution de 1789, le duc de Bourbon ne fut guère connu dans le monde que par quelques aventures de vie privée[1]. Son mariage précoce avec une princesse d’Orléans (1771) fournit au poëte Laujon le sujet d’un charmant opéra-comique, l’Amoureux de quinze ans, mais ne répondit pas a ses heureux commencements, et, après quelques mois d’un amour passionné de la part du jeune prince, fut suivi d’éclatantes infidélités, et aboutit, neuf ans après, à une séparation (1780). Un bal masqué, où le comte d’Artois (depuis Charles X) insulta grièvement la duchesse de Bourbon (voy. l’art. suiv.), occasionna entre les deux princes un duel, dans lequel l’époux offensé montra beaucoup de résolution. La visite que fit ce prince au camp de St-Roch devant Gibraltar (août 1782) ne mérite pas davantage d’être mis au nombre des événements historiques, puisqu’il n’y trouva aucune occasion de se signaler, et que tout se passa en vaines parades et en interminables dîners pour le comte d’Artois, comme pour le comte de Dammartin (c’était le nom qu’avait pris le duc de Bourbon). Néanmoins, à son retour, le roi Louis XVI le créa chevalier de St-Louis, et lui conféra le grade de maréchal de camp. Lors de l’assemblée des notables, il fut, comme tous les princes du sang, appelé à la présidence d’un bureau, qu’on nomma le comité des íngénus, parce que, dans le discours qui suivit son élection, le jeune duc avouait de bonne foi son peu de capacité à remplir un tel poste. Il se montra dès lors fort opposé aux idées politiques qui amenaient la révolution, et, peu de temps avant la convocation des états généraux, il signa la fameuse déclaration que les princes tirent au roi pour indiquer les mesures qui, selon eux, pouvaient seules sauver la monarchie. Dès 1789, il émigra avec son fils, le duc d’Enghien ; puis quand le prince de Condé, son père, eut rassemblé sur le Rhin une armée de Français, fidèles au drapeau blanc, le duc de Bourbon montra dans plusieurs actions une valeur brillante, accompagnée d’un sang froid imperturbable au milieu du péril. An combat de Berstheim, le 2 décembre 1793, il reçut une blessure qui lui conpa les deux tendons de trois doigts de la main droite. Cette blessure, noble marque de son courage, jointe à une chute qu’il fit en 1816 et par suite de laquelle il eut la clavicule de l’épaule gauche cassée, le rendit toute sa vie assez gêné dans l’usage de ses mains : il ne pouvait lever la gauche au niveau de sa tête ; ce qui ne l’empêcha point d’être toujours un habile tireur à la chasse ; seulement, pour tirer ce qu’on appelle le coup du roi, il était, par l’impossibilité de lever suffisamment le bras gauche, réduit a se renverser en arrière. Partout où les émigrés eurent besoin d’avoir à leur tète quelqu’un des princes, on retrouve le duc de Bourbon. Lors de la fatale expédition de Quiberon, il débarqua à l’île Dieu avec l’intention de combattre à la tête des royalistes ; mais des ordres impératifs du comte d’Artois le forcèrent à un prompt départ ; et il retourna en Angleterre [2]. En 1799, le duc de Bourbon était encore sur le Rhin à l’armée qu’y commandait son père ; et lorsqu’elle fut licenciée, il partit pour l’Angleterre, où il résida jusqu’aux événements de 1814. De retour à Paris, ce prince sentit plus vivement que jamais la douleur d’être privé d’un fils qui faisait l’orgueil et la joie de la noble race de Condé. Il revit avec une poignante indignation auprès du trône de Louis XVIII des hommes qui avaient trempé plus ou moins directement dans le lâche attentat d’Ettenheim.(Voy. Talleyrand.) Créé par le roi colonel général de l’infanterie légère, et appelé à la chambre des pairs, il ne s’en tint pas moins a l’écart. Cet éloignement n’était pas sans dignité ; et, si le duc de Bourbon ne peut pas être mis au rang des grands caractères politiques, il doit au moins être placé parmi le très-petit nombre des caractères persévérants : éloge singulier dans notre siècle. Lors du retour de Napoléon, au mois de mars 1818, le duc de Bourbon essaya d’organiser un soulèvement militaire dans les départements de l’Ouest. Sa présence dans l’arrondissement de Beaupréau, et une proclamation qu’il publia, excitèrent quelque agitation ; mais bientôt convaincu par ses yeux, et par les rapports de ses principaux officiers, que la masse des Vendéens resterait immobile, il accéda au vœu que lui exprimait le colonel de gendarmerie Noirot, dans une lettre pleine de convenance. Par l’entremise de son aide de camp, le chevalier Jacques, il arrête avec cet officier une sorte de convention militaire dans laquelle il fut stipulé que le prince abandonnerait la Vendée et s’embarquerait à Nantes pour l’Espagne. Le duc de Bourbon quitta effectivement Beaupréau ; mais il ne s’embarqua pas tout de suite. Il erra encore quelque temps sur les côtes, sous un nom supposé et avec de faux passeports. Enfin tout espoir de rallier les royalistes étant perdu. il se rendit a Nantes, et alla revoir cette péninsule espagnole, que quarante ans auparavant il avait parcourue pour faire une promenade militaire au camp de Gibraltar. Ici se place une odieuse imputation, qui ne peut avoir été inventée que par des individus intéressés a flétrir la mémoire d’un prince respectable. Ils ont


  1. Toutefois, lors de l’exil des princes à l’occasion des nouvelles cours souveraines, le duc de Bourbon ne tarda pas a solliciter son retour. Pour prix de cette prompte soumission, il fut reçu cordon bien à la promotion de 1773. Comme on soupçonnait qu’une des raisons qui avaient ramené le prince de Condé à la cour était le désir de faire recevoir son fils chevalier du St-Esprit, à cette question sur le retour du prince de Condé à Versailles : Qu’y est-il allé faire ? Un plaisant répondit malignement : Ses preuves.
  2. Consultez a cet égard les Mémoires du comte de Vauban.