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pressé de la faim et de la soif, entre une mesure d’avoine et un seau d’eau, faisant une égale impression sur ses organes, et demandait : «Que fera cet âne? » Si on lui répondait : « Il demeurera immobile. — Donc, concluait-il, il mourra de faim et de soif. « Si un autre répliquait : « Cet âne ne sera pas assez âne pour se laisser mourir. — Donc, concluait-il, il se tournera d’un côté plutôt que de l’autre, donc il a le franc arbitre. » Ce sophisme embarrassa les dialecticiens de son temps, et son âne est devenu fameux dans les écoles. Quelques anciens protestants ont témérairement conclu de l’argument de Buridan qu’il avait été un des précurseurs de la réforme. Disciple de Guillaume Occham, et par conséquent attaché à la secte des nominaux, il fut persécuté par celle des réaux ; mais on regarde comme peu probable sa fuite à Vienne en Autriche, ou il ouvrit, dit-on, pour subsister, une école qui devint le berceau de l’université. Le silence de Gaguin et des registres de l’université sur ce fait le rend très-incertain. Ce qui a pu donner lien de croire à ce prétendu voyage, rapporté par Jean Aventin, est peut-être l’ordonnance postérieure de louis XI, du 1er mars 1414, approuvant la doctrine d’Aristote, d’Albert le Grand, d’Averrhoës, de St. Thomas d’Aquin, etc., et condamnant les nominaux, entre autres Buridan, défendant d’enseigner la trine de ces derniers, sous peine de bannissement, etc. L’université de Vienne fut fondée en 1257 par l’empereur Frédéric II, et Buridan était à Paris en 1588. Il légua cette année a la nation de Picardie une maison qui a longtemps porté son nom. On croit même que cette date est celle de sa mort. Est-il probable qu’à soixante ans, et usé de travaux, il eut pu se résoudre à aller enseigner dans un pays aussi éloigné? on relègue également parmi les fables le récit qui le fit complice ou censeur des débauches de Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, et la vengeance que cette princesse en tira[1]. Voici le titre des principaux ouvrages de Buridan 1° Quæstiones super 10 libros Etlticortun Aristotelis, Paris, 1518. 2° Quæstiones super 8 libros Physicorum Arístotelis ; in libros de Anima, et in Parva Naturulia, 1516 ; 5’ in Aristotelis Metaphysica, 1518 ; 4° super libros Politicorum Aristotelis, Paris, 1500, et Oxford, 1640, in-1° ; 5° Sophismata, in-8°. (Voy. Crévier. Hist. de l(Université, et Bayle, Dictionn. hist. et critiq., au mot Buridan.) — Jean-Baptiste Buridan, né à Guise, fut avocat et professeur de droit à Reims, où il mourut en 1655. Il est principalement connu par son Commentaire sur la coutume de Vermandois, Reims, 1651, in-1° ; ibid., 1728. Son Commentaire sur la coutume de Reims fut publié

apres sa mort, par les soins de son fils, Reims, 1663, et Paris, 1663.

N-l.


BURIGNY (Jean Levesque de), naquit à Reims en 1692. Ses premières années n’offrirent rien de remarquable que son éloignement pour l’étude : ce ne fut qu’à l’âge de quinze ans que les facultés de son esprit s’étant développées tout à coup, il sentit naître en lui cette avidité de savoir qui ne l’a point abandonné depuis et qui a fait le charme de sa vie. Il vint à Paris en 1713 ; et, logé avec Champeaux et Lévesque de Pouilly, ses deux frères, il y forma une espèce de triumvirat dont l’histoire littéraire offre peu d’exemples. Travaillant de con-0811, lisant ensemble les meilleurs auteurs, ils se partagèrent l’universalité des connaissances humaines, et passèrent ainsi plusieurs années. Burigny, le plus robuste des trois, était le bibliothécaire et le secrétaire de cette espèce d’académie, et le résultat de leurs travaux communs fut une sorte d’encyclopédie manuscrite, en 12 énormes volumes in-fol., qui ont fourni à ce dernier les matériaux d’un grand nombre de ses ouvrages. Il passa quelque temps en Hollande, et y forma des liaisons avec les hommes de lettres les plus distingués, surtout avec St-Hyacinthe, qui l'engagea à travailler à l’Europe savante (de 1718 à 1720). Des 12 volumes qui composent ce journal, près de la moitié appartient à Burigny. De retour en France, sa réputation lui ouvrit les portes de l’académie des inscriptions et belles-lettres, en 1756 ; dès lors il ne cessa de publier de nouveaux ouvrages, et lut un grand nombre de mémoires dans les séances de ce corps littéraire. À la connaissance des langues hébraïque, grecque et latine, il joignait celle de l’histoire ancienne et moderne, de la philosophie, de la théologie, etc. Sa mémoire était prodigieuse ; mais il ne mettait point assez de chaleur et de concision dans ses écrits, et on lui a souvent reproché de manquer d’exactitude. Savant toujours modeste, sans envie et sans intrigue, il n’ambitionnait ni la renommée ni les récompenses, et travaillait parce que le travail seul suffisait à son bonheur. En 1785, le roi le gratifia d’une pension de 2 000 liv. ; son étonnement fut au comble lorsqu’il apprit cette nouvelle. Il ne concevait pas ce qui avait pu lui mériter une pareille faveur, et rien ne saurait exprimer sa reconnaissance pour un bienfait aussi inattendu. La vieillesse ne lui ôta rien de sa sensibilité ; il aimait ses amis avec la même affection : le souvenir de ceux qu’il avait perdus réveillait en lui des regrets touchants ; et, si l’on portait la moindre atteinte à leur mémoire, il la repoussait avec une chaleur qu’il n’aurait pas employée à sa propre défense. Ce doyen de la littérature française mourut à Paris, le 8 octobre 1785, à rage de 91 ans. Il conserva toute la force de son esprit jusqu’au dernier soupir. Quelques instants avant sa mort, il dit a ses amis : « Si j’avais été assez malheureux pour douter de l’immortalité de l’âme, l’état où je suis me ferait bien revenir de mon erreur. Mon corps est insensible et sans mouvement ; je ne 8808 plus S011 existence ; cependant je pense, je réfléchis, je veux, j’existe : la matière morte ne peut produire de pa-

  1. Cette anecdote prètait trop bien au drame pour que les auteurs d’aujonrd’hui, empressés de mettre sur la scène nos vieilles chroniques, n’en fissent pas le sujet d’une de leurs pieces. Buridan est, en effet, le principal personnage de la Tour de Nesle, drame en 6 actes, par MM. Gaillardet et Al. Dumas. Au reste, c'est Villon, poète presque contemporain de Buridan, qui a immortalisé une tradition dans ces vers :

    L’histoire dit que Buridan
    Fur jeté en un sac en Seine.

    D-r-r.