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mier discours de Burke au parlement eut pour objet les inconvénients de la taxe du timbre, et lut admiré comme un morceau d’éloquence supérieure. D’après son avis, on prit le moyen terme de révoquer la loi en question, en établissant toutefois par une déclaration le droit qu’avait la Grande-Bretagne ne taxer l’Amérique. Ce moyen écartait une difficulté présente, mais laissait aux ministres suivants la tentation de renouveler un projet qui, évidemment, donnerait lieu aux mêmes contestations et aux mêmes risques. Quoi qu’il en soit, on approuve beaucoup la révocation de l’impôt du timbre, et elle allait entraîner d’autres mesures semblables, lorsqu’après une courte durée, le ministère du marquis de Buckingham fut obligé de céder la place à celui de lord North. Burke termina ses travaux officiels par un Tableau du dernier ministère, tracé avec force et simplicité ; puis il reprit son poste dans la chambre des communes, et se lit remarquer parmi les membres attachés à ce même ministère déplacé. Nous ne le suivrons pas dans sa conduite comme un des chefs de l’opposition ; nous ne parlerons que d’un de ses écrits politiques qui, a la même époque, produisit une grande sensation. Cet écrit avait pour titre : Réflexions sur la cause des mécontentements actuels. Il y attribue tous les malheurs, toutes les fautes du gouvernement à un plan formé par la cour, de tout conduire par l’entremise de ses favoris. Il fait voir l’incompatibilité de cette influence secrète avec les principes d’un État libre, et met en avant quelques opinions populaires concernant la chambre des communes. Du reste, le remède qu’il proposait pour les maux généralement sentis consistait surtout à placer ce pouvoir dans les mains des grandes familles whigs, qui avaient été les soutiens ne la révolution de 1688, ainsi que des mesures subséquentes, ce qui était une manière d’indiquer le parti de Buckingham. Cette conclusion lui attira plusieurs censures sévères : mais, pour le justifier du reproche qu’on lui faisait alors de paraître trop porté vers les idées démocratiques, il suffirait de citer l’ouvrage dont nous venons de parler. Dans son opposition aux actes ministériels qui ont précédé et suivi les guerres d’Amérique, il employa toute sa pénétration politique, toute son éloquence, d’abord à prévenir la scission, et ensuite à tenter un moyen de rapprochement. Il était alors parvenu à la maturité de son talent oratoire. Les annales du parlement offrent peu d’exemples d’une éloquence aussi forte, aussi animée que celle de Burke. Chez lui, l’imagination et le sentiment paraissent également puissants, et une audacieuse vigueur s’alliait à une naïveté quelquefois fort piquante. La rapidité de son débit ne lui laissait pas le temps de choisir et de perfectionner. Lorsqu’il commençait à parler, il était difficile de deviner jusqu’où il pourrait aller ; mais quelque trait frappant et original ne tardait pas à produire une vive impression. On peut tirer des discours de cet orateur, des discussions sur presque tout ce qui intéresse la société humaine, en même temps qu’un grand fonds de narrations et de portraits historiques habilement tracés. En 1774, on jugeait ses principes tellement favorables à la liberté, que les whigs de l’opulente cité de Bristol le choisirent pour leur représentant. Les attaques qu’à cette époque il livra aux opérations des ministres portaient principalement sur leur insuffisance, leur sévérité et leur injustice. La guerre devint populaire, et Burke sembla perdre quelque chose dans l’opinion publique en s’y opposant. Il s’aliéna surtout ses constituants de Bristol, quand il sollicita dans le Parlement la liberté du commerce pour les Irlandais, et des lois tendant à adoucir le sort des catholiques. Il fut cependant réélu dans la session suivante, et, en même temps, nommé par une autre ville que Bristol. Ce fut alors qu’il parut au milieu de l’assemblée des électeurs de celle-ci, ety prononça un discours réputé son chef-d’œuvre ; il y rendait compte de sa conduite, et commençait par ces mots : Gentlemen, I decline the election (Messieurs, je refuse l’élection…). Quoi qu’il en soit, il recouvra en grande partie la faveur du peuple par son fameux bill de réforme dans les mesures fiscales introduites en février 1780. Le ministère de lord North finit au mois de mars 1782, et le marquis de Rockingham fut rappelé avec tout son parti. Dans ce changement, Burke obtint le poste lucratif de payeur général de l’armée, et fut admis au conseil privé. Une de ses premières démarches fut la reproduction du bill de réforme, qui précédemment avait été rejeté, n’étant pas aussi agréable aux ministres et aux courtisans qu’à la majorité de la nation, et, cette fois, le bill passa avec des modifications considérables. La mort du marquis de Rockingham avanca le terme du ministère dont il était l’ãme, et, lorsqu’on désigna lord Shelburne pour lui succéder comme chef de la trésorerie, Burke se retira. Le ministère de lord Shelburne fit place à celui qu’on désignait sous le nom de coalition, parce qu’il était composé d’une portion des ministres qui avaient été l’objet d’une si longue et si forte opposition, et de plusieurs membres de cette opposition elle-même. Le projet de la coalition fut conçu par Burke, qui parut avoir peu calculé l’effet qu’aurait sur le public un choc aussi violent donné à toutes les idées de bonne foi et de stabilité. Cette nouvelle association de pouvoir fut rompue par le bill sur l’Inde, de Fox, que Burke appuya fortement, mais qui déplut également au roi et au peuple. Pitt prit alors le timon des affaires, et commença par dissoudre le parlement, opération attaquée avec beaucoup de chaleur par Burke. Il fut également contraire à un plan proposé en 1782 par le ministre, qui portait atteinte aux droits reconnus des propriétaires des bourgs, et il n’approuva jamais l’idée mise en avant d’une réforme parlementaire. Le procès du gouverneur des Indes, Hastings, a été l’un des événements les plus remarquables de la vie de Burke. On a présumé que les motifs de ressentiment particulier s’étaient joints dans cette grande cause nationale, à sa passion pour la justice. Au total, sa conduite dans cette affaire ne lui fit rien gagner dans l’estime publîque, et servit seulement à donner une plus grande idée de son talent d’orateur. L’établissement d’une régence à l'oc-