Page:Michaud - Poujoulat - Correspondance d’Orient, 1830-1831, tome 1.djvu/111

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Il était nuit, et nous nous sommes trouvés tout à coup au milieu d’un spectacle auquel je ne me serais point attendu. Des cabanes de bois rangées en forme de rues, des feux semés sur le chemin comme pour tenir lieu de réverbères ; des cafés avec des billards où se pressaient des hommes de différentes nations, Grecs, Russes, Italiens, les uns jouant de la lyre, les autres chantant des chansons d’amour ou de liberté ; des tavernes étroites et puantes ; de grands vases remplis de lait, posés au coin de la rue, sur de gros brasiers ; des femmes et des enfans vêtus de haillons, allant et revenant devant nous ; des malades et des mendians couchés sur la terre à côté de leur besace et de leur pain noir ; des Albanais, sous leurs vétemens héroïques, assis dans la rue autour d’un flambeau, fumant silencieusement à la manière musulmane ; voilà Argos, voilà comment s’est montrée à nous la ville des Atrides, la cité grecque régénérée.

Quand on voyage pour la première dans la Grèce, on rêve des villes superbes, des temples aux formes élégantes, des dieux et des héros debout sur leur piédestal de marbre, les enchantemens la mythologie mêlés aux grandeurs de l’histoire ; mais qu’il faut peu de temps pour vous précipiter des hauteurs de, ces songes poétiques dans la triste et misérable réalité ! Si je voulais déplorer avec vous la vanité des choses humaines, l’état présent d’Argos pourrait me fournir un beau