Page:Michaud - Poujoulat - Correspondance d’Orient, 1830-1831, tome 1.djvu/231

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on ne reconnaît ici que des sectes qui ont mille raisons pour se haïr, et pas une pour être d’accord et pour vivre ensemble ; je vois ici des Juifs, des Arméniens, des Grecs, des Turcs, des Francs, mais avec tout cela, comment fera-t-on jamais des citoyens, ou même des enfans de la cité ; comment se formera-t-il jamais ce que nous appelons une opinion publique sur une question ou sur un intérêt quelconque ? comment naitra-t-il jamais dans les esprits une idée ou un sentiment qui ressemble à l’amour de la patrie ? en un mot, ce n’est pas un peuple que j’ai sous les yeux, mais une caravane qui campe, une caravane rassemblée de contrées différentes, où tout le monde vit au jour le jour, où chacun a ses spéculations propres, qu’aucune loi générale ne guide, et qu’aucun lien commun ne réunit. Je ne vois ici qu’un pacha qui commande et des hommes qui lui obéissent tant bien que mal ; des gens qui lèvent des tributs, et des gens qui les paient. La crainte est le seul mobile de cette société singulière ; aussi ne peut-elle subsister sans une garnison qui la contienne la nuit et le jour ; aussi, l’ordre ne peut-il s’y maintenir que par une police armée d’un glaive qu’on ne met jamais dans le fourreau !

J’ai souvent vu passer cette police, et j’avoue que la première fois que je l’ai rencontrée, elle m’a fait quelque peur. C’est une bande de cent cinquante ou deux cents hommes, venus de tous les pays,