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Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/204

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MICHEL-ANGE.

comme je vous l’ai déjà écrit, vous vous y vengerez de toutes les injures qui vous ont été faites, et vous ferez taire les cigales, qui ne crieront plus.

Dans cette salle ont place les plus beaux faits d’histoire qui se puissent peindre. Il y a premièrement l’histoire de l’empereur Constantin, comment lui apparut dans l’air et dans un éclair une croix dont le signe devait lui donner la victoire, et comment il tua un certain roi. Ensuite, sur le grand côté, une bataille, c’est-à-dire un fait d’armes, dont ces jeunes gens disent qui la veut commencer ; puis, sur l’autre côté, une présentation des prisonniers à l’empereur. Sur l’autre grand côté, les préparatifs pour faire chauffer le sang des petits enfants : on entrevoit beaucoup de femmes, des enfants et des bourreaux pour les tuer et faire le bain de l’empereur Constantin.

Le pape m’a dit que ceux-là (les élèves de Raphaël) voulaient peindre ces faits historiques et qu’ils avaient les dessins de la main de Raphaël. Je lui répondis ce que je vous ai écrit dans une autre lettre. Il me semble que, comme sujets d’histoire, on ne peut mieux faire, ni mieux choisir. Ainsi décidez ; tout ce que vous ordonnerez sera fait. Et je vous en prie, mon Compère, par l’amitié qui nous unit, daignez me répondre, pour que je sache ce que j’ai à faire, car je suis vitupéré par tous ces gens-là et surtout par le pape de ce que je ne sais que leur répondre ; votre honneur y est engagé, aussi bien que le mien. — Je ne vous dirai pas autre chose. Jésus-Christ vous conserve en santé.

Votre très fidèle Compère Sébastien, peintre, à Rome.


II

Au seigneur Michel-Ange Buonarotti, sculpteur très digne, etc., à Florence.
Le 7 septembre 1520.0000

0000Mon très cher Compère,

Aujourd’hui, une lettre de vous m’a été apportée par Miniato ; c’est la réponse à celle que le pape m’a fait vous écrire, et, d’après ce que vous dites, il semble que je vous ai fait injure, plutôt que plaisir. Je vous le dis, l’amitié que je vous porte et le bien que je vous veux me font désirer de vous voir empereur du monde, car vous me paraissez le mériter ; et si vous ne vous croyez pas le grand maître que vous êtes, vous me paraissez tel à moi et à tout le monde, même à ceux qui ne le veulent pas. Il n’y a pas de meilleur juge que vous sur ce point, et si vous ne pouviez me secourir ni m’aider en quoi que ce fût, ni me faire plaisir, j’aurais la certitude que ce serait de votre part impossibilité et non manque de foi ou d’amitié. Tout ce que j’ai dit au pape et les termes dont j’ai fait usage à propos de ce grand travail, ç’a été par pure amitié, par le respect que je vous porte, pour arriver par votre moyen à vous venger ainsi que moi, pour faire voir aux méchantes gens qu’il y a d’autres demi-dieux que Raphaël d’Urbin et ses élèves, et d’après les paroles du Compère Leonardo qui, dans ses lettres, paraissait m’assurer que vous mettiez à cela plus de chaleur que moi. Si j’ai commis quelque erreur, pardonnez-moi.

Je pense à ce que vous m’écrivez de vous mander les sujets d’histoire. Dans ma lettre d’hier, je vous les racontais en gros, parce que le pape me les avait indiqués, lui aussi, fort sommairement. Ces quatre histoires sont celles de l’empereur Constantin, que doivent peindre les élèves de Raphaël, mais je crois que le pape a un peu changé de sentiment. Il a envoyé bien des fois savoir si j’avais reçu votre réponse. Je lui ai dit que non, et il m’a fait offrir la salle d’en bas des Pontifes, à quoi j’ai répondu ce que vous avez appris par mon autre lettre. Mais les sujets de la salle d’en bas, je ne les sais pas encore.

Or, vous m’écrivez aussi que vous ne me promettez pas une affirmation. Je vous prie, par l’amitié que vous me portez, de vouloir bien vous décider à dire oui ou non, pour que je puisse porter la réponse au pape, qui demande à voir ce que vous m’avez écrit, et à qui je dis que vous ne m’avez pas encore répondu. Si vous voulez que je lui montre vôtre lettre, je la lui montrerai. Donnez-moi votre avis sur ce point, car je ne veux rien faire contre votre volonté. Cette salle d’en haut, qui doit son importance aux chambres de Raphaël d’Urbin, ne se peut obtenir sans vous. Pour celle d’en bas, je me fais fort de l’avoir et d’y faire de grandes peintures, comme les autres ; mais je ne le désire que pour faire des miracles et montrer aux gens que des hommes qui ne sont pas des demi-dieux savent peindre, eux aussi. — Je ne vous dirai pas autre chose. Jésus-Christ vous conserve en santé. Pardonnez-moi si je vous importune.

Votre très fidèle Sébastien, peintre, à Rome.