et se croire un grand maître ; mais à l’œuvre il verra ce qu’il est. Je crois que le pauvre garçon ne saura plus jamais faire de ces figures-là, tellement il aura oublié l’art, et les genoux de cette statue valent plus que Rome tout entière.
Compère, sur la demande de maître Giovanni de Reggio et pour l’amitié que je vous porte, je vous ai écrit et fait connaître ce qu’a fait Pietro. Vous me dites par votre dernière lettre que, si Frizzi veut assumer l’entreprise de finir et de mettre en place cette figure, je la lui donne. Il est venu me trouver, et nous sommes allés chez messire Metello avec votre lettre. Messire Metello s’en est montré satisfait, et je crois que Frizzi vous servira avec zèle, car il me paraît honnête homme. Je l’ai prié de toucher le moins possible à la figure, et nous sommes demeurés d’accord de la baisser d’une palme environ, parce qu’on ne voit pas les pieds ; je trouve que Pietro la mettait bien haut. Vos instructions seront donc exécutées, et je crois que Frizzi s’en acquittera bien ; vous avez affaire à un homme qui tient à cœur votre honneur. Ne vous étonnez pas de ce que maître Giovanni vous ait écrit que Pietro s’en était allé. Il a passé bien des jours sans se montrer ; il fuyait la cour, et je crois bien qu’il lui arrivera malheur. J’ai entendu dire qu’il joue, fréquente toutes les filles, fait le damoiseau dans Rome avec des souliers de velours et dépense beaucoup d’argent. Je suis sûr qu’il finira mal, et je le regrette, parce qu’il est jeune, après tout ; mais il a fait des choses dont vous seriez stupéfait, si vous les entendiez raconter. Je ne vous en dirai pas plus. Si vous trouvez que l’on ait omis quelque chose de ce que vous voulez, écrivez, et tout ce que vous ordonnerez sera fait. Jésus-Christ vous conserve en santé. Dites au compère Leonardo que j’espère qu’à son retour il trouvera finis la chapelle et le sujet d’en bas. Vous en serez, je crois, satisfait ; je le peins à l’huile sur le mur, de manière que la peinture ne s’en détachera pas, comme font celles du palais. Je vous prie de me recommander à messire Pier Francesco.
Votre très fidèle,
peintre, à Rome.
VIII
Mon très cher compère,
J’ai reçu de vous une lettre qui m’a été fort agréable, car j’y ai vu l’amitié et l’affection que vous me portez toujours, sans que je le mérite. Il m’est pénible que l’on vous ait requis de m’écrire et de me presser de finir promptement le tableau de messire Antonio Francesco degli Albizzi. Il était inutile de vous tourmenter d’une semblable chose, et peut-être vous aurait-on moins importuné en vous faisant faire une figure qu’en vous faisant écrire cette lettre. Je crois, en effet, reconnaître en bonne partie le tour d’esprit des gens dans cette affaire. Il suffisait de ma bonne foi et de la promesse que j’avais faite à messire Antonio Francesco, et, bien que j’aie été en retard de cinq ou six jours, il n’était pas besoin de prendre tant de peine. Pardonnez-moi. Pour moi, je trouve plus difficile de faire une main ou un simple bout de draperie dans notre art, que de faire toutes les selles [1] du monde. Pardonnez-moi de vous écrire de cette manière ; je crois écrire à quelqu’un qui me comprend : ne prenez donc pas la chose en mauvaise part. Je n’ai tant tardé que pour vous faire honneur ainsi qu’à moi et pour me consacrer à messire Antonio Francesco, qui me semble un homme digne d’être bien servi. J’ai laissé toutes mes affaires pour lui et pour le compère Leonardo, comme ils le savent. Et je ne vous dirai pas autre chose, sinon que je me recommande à vous mille fois. Recommandez-moi, je vous prie, à messire Antonio Francesco comme à messire Pier Francesco Borgherini, et dites-lui que dans le délai de deux jours son tableau sera fini. Jésus-Christ vous conserve en santé.
J’ai encore à vous remercier extrêmement de la lettre que vous m’avez écrite, en faveur de Jacopo Sansovino. Il a fait bonne impression sur le duc, mais il n’a pourtant pas eu le travail, parce que, m’a dit le duc, il faut en ce moment s’occuper des armes et non des marbres.
L’unique Arétin m’a fait convenir, en voyant votre lettre (c’est-à-dire l’adresse), que c’est
- ↑ Peut-être par allusion au métier de sellier exercé par Leonardo Borgherini, le plaignant.