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Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/212

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MICHEL-ANGE.

Maintenant, mon compère, messire Jérôme Staccoli, d’Urbin, est arrivé à Rome ; il est venu chez moi et, ne m’ayant pas trouvé, il m’a parlé aujourd’hui à la Chancellerie et m’a rapporté toutes les négociations qui ont eu lieu avec le seigneur duc d’Urbin, au sujet du tombeau de Jules. Il m’a dit énormément de paroles ; pour conclure, il dit avoir offert des partis à choisir à Son Excellence votre duc [1] ; que vous étiez disposé à finir le tombeau du pape Jules… en suivant les conditions du contrat fait par vous avec Aginensis, c’est-à-dire le grand projet, mais qu’il faudrait pourvoir au reste de l’argent. Le duc a répondu qu’il ne pouvait fournir le reste de l’argent, mais que Sa Seigneurie serait bien plus satisfaite que vous missiez à exécution le second projet, c’est-à-dire que l’œuvre fût réduite à la valeur de la somme que vous avez reçue. Messire Jérôme ajouta qu’après son départ d’Urbin, le duc envoya derrière lui un homme en poste avec une lettre, lui ordonnant de trouver moyen, n’importe comment, d’arranger cette affaire et d’assurer l’exécution du tombeau ; mais que le duc voudrait que vous lui fissiez un dessin du projet à exécuter, dessin d’après lequel il prendrait une décision. Je répondis très gaillardement à messire Jérôme que vous n’étiez plus homme à faire des dessins de projets, des modèles, ni de pareilles bagatelles ; que c’était là le moyen de ne jamais finir ce travail, que Son Excellence le duc pouvait bien se contenter de vous voir disposé à exécuter ce travail suivant le dessin existant, et que vous teniez à votre honneur autant qu’un autre peut tenir au sien. Messire Jérôme me demanda comment cela pourrait se faire. « Voici comment, lui répondis-je. Que Son Excellence le duc et tous les héritiers du pape Jules consentent à annuler le contrat dressé par Aginensis, c’est-à-dire celui du grand projet, qu’ils en fassent un autre comme quoi vous (Michel-Ange) consentez à faire un travail de la valeur de la somme reçue par vous, qu’ils laissent à votre conscience toute chose, et quand vous ne mettriez qu’une pierre en œuvre, qu’ils se soumettent en tout à votre volonté Que, comme le meilleur temps de votre vie aura été un esclavage, ils vous rendent présentement votre liberté, ne vous obligent à rien, et seulement vous fassent maître de toutes choses à votre volonté ; car ils se trouveront bien mieux de faire ainsi, que de se jeter dans une voie de détails minutieux. » Sur quoi, messire Jérôme avoua que c’était là la marche à suivre, et me dit de vous écrire qu’il fera consentir le duc à tout ce que vous voudrez, vous et son ambassadeur, qu’avec messire Jérôme, au nom du duc et des héritiers du pape Jules, on annulera le contrat et on en fera un autre comme vous le voulez, et dans la forme que je lui ai offerte, c’est-à-dire qu’on achèvera le tombeau suivant le second projet, et dans le délai de trois ans. Vous aurez à payer de vos deniers deux mille ducats, en comptant la maison ; cette maison sera vendue, et Te prix viendra en déduction du chiffre de deux mille ducats. Je n’ai pas voulu offrir davantage, je crois que cela suffira, et ils s’en contentent volontiers. Ils trouvent satisfaisant que vous acceptiez ce travail sans qu’il leur en coûte un liard, et que vous consentiez à payer les deux mille ducats. Messire Jérôme m’a promis d’écrire au duc et qu’ils feront que le duc vous écrira, s’en remettant pour toute chose à vous. Vous prendrez la peine de répondre au duc ce que vous voudrez, mais n’offrez plus d’argent. Maintenant il me semble que l’affaire est venue à très bonne fin et solution, puisque c’est à vous de faire ce second contrat. Envoyez-moi un modèle du contrat, comme vous voulez qu’il soit ; on n’en omettra pas un mot. Envoyez-moi aussi une procuration pour que je puisse annuler le premier contrat en votre nom, faire le second et promettre en votre nom tout ce que vous me commanderez. Je pense qu’ainsi vous serez content et aurez l’esprit en repos. Je crois que notre seigneur, par amitié pour vous, sera aussi content de cet arrangement, que vous le serez vous-même. Il m’a dit : « Nous le ferons rajeunir de vingt-cinq ans. » Je ne vous dirai pas autre chose de cette affaire. Faites ce qu’il faut et tenez-vous en bonne disposition.

Pardonnez-moi, car je n’ai pas encore fini la tête du pape ; mais j’espère vous l’envoyer, de toute façon, la semaine prochaine. Les affaires de ma charge m’en ont empêché. Dieu sait combien je suis peiné de n’avoir pu aller à Florence, comme… je vous l’avais promis. Mais Dieu l’a voulu. J’espère aller vous voir, cet été, et que vous ne manquerez pas à votre promesse, pour que nous nous réjouissions un peu ensemble. Je vous en prie, recommandez-moi à Sa Seigneurie messire Bartolomeo Valori, et dites-lui que je continuerai son travail et qu’il sera servi. Je vous prie aussi de me recommander à mon seigneur

  1. Il ne peut être question du duc de Florence, souverain de Michel-Ange : vostro s’applique évidemment au duc d’Urbin, comme le prouve la suite.