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MICHEL-ANGE.

MADRIGAL V
Ogni cosa cli’io veggio…

Oui, tout ce que je vois me fait sentir plus vivement encore le besoin de vous aimer, de m’attacher à vos pas ; tout me dit qu’il n’est de félicité qu’en vous seule. L’amour, aux yeux de qui nulle beauté n’a de prix que la vôtre, veut que, pour mon bonheur, ô mon astre ! vous soyez l’unique objet de mon ardente flamme ; il veut qu’étranger à tout autre désir, à toute autre espérance, je brûle et vive non seulement pour vous, mais encore pour ce qui me rappelle ou vos regards ou vos charmes. Beaux yeux qui me donnez la vie ! se séparer de vous, c’est se priver de la lumière. Car le ciel n’est plus où vous n’êtes pas.


MADRIGAL VI
Corne avro mai virtute…

Loin de vous, comment supporterai-je la vie, si vos consolations ne viennent, au moment du départ, raffermir mon courage ? Ces pleurs, ces soupirs, ces sanglots que mon cœur plein de désespoir a déjà fait éclater, vous présagent assez cruellement mon martyre et ma mort prochaine. Ah ! si jamais l’absence devait vous faire oublier votre esclave fidèle, je vous laisse, pour gage et pour souvenir de mes longues douleurs, un cœur qui ne m’appartient plus.


MADRIGAL VII
Il mio rifugio…

Des larmes et des prières ! voilà ma dernière ressource, mon unique moyen de salut. (En est-il de plus sûr ou de plus efficace ?) Et cependant je n’en suis point soulagé. Amour et Cruauté se sont armés contre moi : par sa pitié l’un m’attache à la vie ; par ses rigueurs, l’autre me donne la mort. Si mon âme, ainsi combattue et cherchant sa sécurité dans une fuite courageuse, veut quelquefois s’élancer au séjour où l’espérance lui montre un refuge éternel, soudain l’image de celle qui me retient à la vie se réveille plus fortement dans mon cœur, pour empêcher la mort de triompher de l’amour.


MADRIGAL VIII
Se, in vece del gioir…

Amour ! puisque tu préfères au bonheur les chagrins et les larmes, je cours moi-même au-devant de tes traits, parce qu’entre les blessures qu’ils font et la mort, le temps n’accorde pas un seul moment d’intervalle, et que, pour les amants malheureux, mourir est l’unique moyen d’abréger leur supplice. Termine donc à la fois et mes jours et ma peine ; Amour, je t’en rendrai grâce : nous ôter la vie, c’est nous délivrer de tous maux.


MADRIGAL IX
Beati voi…

Esprits bienheureux, qui goûtez dans le ciel le prix des larmes dont rien ne dédommage ici-bas, dites-le-moi ; l’amour exerce-t-il encore sur vous son empire, ou en êtes-vous affranchis par la mort ? — Dans notre quiétude éternelle, l’amour dont nous brûlons est à jamais exempt de chagrins, de pleurs, de jalousie. — Vivre est donc pour moi le plus