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INTRODUCTION

XXIV. — Il vint donc à Rome, et plusieurs mois se passèrent avant que Jules II se résolût à l’employer à son service. Finalement, l’idée vint à ce pape de commander son tombeau. Ayant vu le dessin qu’en avait fait Michel-Ange, il lui plut tellement qu’il envoya aussitôt l’artiste à Carrare pour en extraire la quantité des marbres nécessaires à une telle entreprise, et, à cet effet, il lui fit payer mille ducats à Florence, par Alamanno Salviati. Il resta plus de huit mois dans ces montagnes, avec deux serviteurs et une équipe de chevaux, sans autres provisions que celles du vivre. En regardant, un jour, le paysage du haut d’un mont au-dessus de la mer, l’idée lui vint de faire un colosse que les navigateurs pourraient voir de la pleine mer. Il y était surtout stimulé par la commodité de ce massif, qu’il pourrait fouiller à son aise. Il y était aussi poussé par les Antiques qui, pour produire peut-être le même effet que Michel-Ange, ou pour fuir l’oisiveté dans la montagne, ou pour toute autre raison, ont laissé certains souvenirs imparfaitement ébauchés qui donnent un bon exemple de leur manière. Et, certes, il aurait réalise ce projet si le temps ou l’entreprise à laquelle il vaquait le lui avaient permis ; et je l’ai entendu, un jour, le regretter amèrement. Quand il eut fini l’extraction et le choix des marbres qui lui paraissaient suffisants et qu’il les eut conduits au port, il laissa là un homme qui veillerait au chargement et s’en revint à Rome. S’étant arrêté quelques jours à Florence, quand il arriva à Rome il y trouva une partie des marbres à quai. Il les fit débarquer et transporter sur la place de Saint-Pierre, derrière Sainte-Catherine, où il avait sa demeure placée après le Corridor d’Alexandre VI. Grande était la quantité des marbres : étendus sur la place, ils faisaient l’admiration des gens et la joie du pape. Celui-ci favorisait Michel-Ange à ce point inusité que, l’artiste ayant commencé son ouvrage, le pape maintes fois l’alla trouver dans sa maison, s’entretenant avec lui, comme avec un frère, de son tombeau et d’autres choses. Pour s’y rendre plus commodément, il avait fait jeter, du corridor à la maison de Michel-Ange, un pont roulant par où passait secrètement le pape.

XXV. — Ces faveurs signalées furent cause (comme il arrive bien souvent dans les cours) d’envies excitées contre Michel-Ange, et, après l’envie, de persécutions infinies. Aussi l’architecte Bramante, qui était aimé du pape, lui fit changer d’avis en lui disant ce que dit ordinairement le vulgaire, que c’est de mauvais augure pour la vie de préparer son tombeau. Il ajoutait bien d’autres rapports prouvant ainsi, outre sa jalousie, la crainte qu’il avait du jugement de Michel-Ange, qui ne craignait pas, non plus, de découvrir les erreurs de l’architecte. On sait que Bramante, qui se donnait à toute sortes de plaisirs, dépensait largement. Les provisions que lui faisait le pape, pour si abondantes qu’elles fussent, ne lui suffisaient pas. Il cherchait d’aller vite à l’ouvrage et maçonnait les murs avec de mauvais matériaux qui promettaient peu de stabilité et de sécurité à la grandeur démesurée de la bâtisse. C’est ce que chacun peut voir manifestement dans les constructions de Saint-Pierre au Vatican, au corridor du Belvédère, au couvent de Saint-Pierre-aux-Liens et en d’autres constructions par lui faites. Chacune d’elles a nécessité la réfection des fondements et l’apport d’étais, de contreforts et de barbacanes, pour en arrêter la chute qui serait, à court terme, arrivée. Ne doutant pas que Michel-Ange connût ces erreurs, Bramante chercha toujours à le