Aller au contenu

Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
MICHEL-ANGE.

de lui-même, d’après ses lettres et celles de ses correspondants que gardent, pour la plupart, les Archives Buonarroti où il nous reste à pénétrer ?

Par une de ces journées lumineuses dont le ciel de Florence a le secret, mêlant l’azur de l’air limpide à l’or vieilli des façades princières qui abritèrent la magnificence des Médicis, et à l’usure patinée des larges dalles dont sont pavées les rues où passe encore l’ombre irritée et dédaigneuse des grands Toscans de la race irréductible de Dante le gibelin et du guelfe Michel-Ange, si vous cherchez la maison du grand maître, vous la trouverez à l’angle des deux rues Ghibellina et Michelangelo. Voisine de l’ancien Santa-Croce où repose la dépouille mortelle de celui dont le souffle toujours inapaisé anima la plus puissante argile humaine, c’est, mieux que partout ailleurs, dans son cube massif et noir de lourdes pierres granitiques que palpite et s’agite encore, d’une chambre à l’autre, cette âme inquiète qui ne cessa d’œuvrer et de souffrir que dans le repos final et l’apaisement éternel du tombeau.

Cette maison à deux façades sur les deux rues où tombe, de la hauteur des deux sévères étages, l’ombre imposante du large auvent de bois formant corniche, ne fut pas la première que Michel-Ange posséda et habita dans Florence. Celle de la rue Bentaccordi, où le pauvre ex-podestat de Caprèse était venu abriter le berceau de son nouveau-né dans la casuccia minable qu’il tenait en location de son beau-frère, a-t-elle même conservé la moindre trace du passage de cet autre enfant-dieu à qui, comme à Hercule jouant avec des serpents entre ses langes, les violences d’une première misère ne firent pas défaut ? Où trouver aussi cette autre maison de la Via Mozza en laquelle Vasari, écrivant au neveu de Michel-Ange après la mort du grand vieillard, veut que l’oncle ait laissé des trésors d’art ? Par atavisme nobiliaire dont le maître devenu célèbre avait la faiblesse de se prévaloir, on sait, d’après maintes lettres de Michel-Ange, que le descendant des Buonarroti avait fait acheter par ses frères une douzaine d’immeubles à la ville et plus encore de biens-fonds à la campagne. Il en avait été tant privé dans sa jeunesse besogneuse !

Quoi qu’il soit advenu des autres, cette maison à l’imposant carré de noir repaire de l’ancien temps, devant laquelle les lignes modernistes d’un tramway ont l’insolence de convoyer aujourd’hui les temps nouveaux, est bien celle que Michel-Ange habita et où il a laissé la plus noble part de son âme si longtemps exilée à Rome et à Carrare, — l’âme de l’indéracinable Toscan qu’il fut toujours, amoureux et glorieux de sa chère et grande Florence, avant tout. Sur le rez-de-chaussée aux sept fenêtres barrées de fer, les deux étages, aux jalousies de bois italiennement peint en vert, se développent tranquillement sous l’œil du passant distrait que n’arrête point cette ordinaire façade de confortable palazzo florentin. Tout au plus, entre ces deux étages et à l’angle saillant des deux murs, pour tout ornement extérieur, observe-t-on un cartouche de marbre blanc où les armes des Médicis et des Buonarroti mêlent trois fleurs de lis à une boule d’or, sous la couronne comtale que signe, en chef, une tête d’ange. La porte cintrée, que surmonte le buste de Michel-Ange et l’inscription Galleria Buonarroti, est ouverte. Et vous entrez.

Comme dans ces rares maisons des crands ancêtres où vous rencontrez