Page:Michel - La misère.pdf/106

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
106
LA MISÈRE

106

Eh ! mais que faisaient-elles donc ces fameuses écoles de Paris, dont toute la France s’entretenait, au dire des journaux que Brodard lisait à Nouméa ? Ces petits vauriens s’étaient-ils échappés des bancs de l’école primaire pour commettre leurs méfaits ? Alors c’était du propre ! Quelle morale enseignait-on à cette triste graine ? Et si, au contraire, ces petits malheureux n’avaient pas passé par l’école, pourquoi les mettre en prison ? Ils avaient agi sans discernement. C’est dans une maison d’éducation qu’il aurait fallu les recueillir. Oui ! oui ! pensait Brodard, en entendant les gamins faire d’horribles plaisanteries sur le pauvre vieux qui les écoutait sans rien répondre, oui, ils avaient raison, ceux de là-bas, en disant que tout était encore à faire, dans notre pays. Le vieillard, près duquel Brodard était étendu, paraissait aussi calme, aussi paisible au milieu de la vermine et des puanteurs du Dépôt que s’il eût été dans sa propre demeure, et comme un patriarche entouré de nombreux enfants. .. Malgré l’intensité de ses propres misères, l’ouvrier qui avait cru à un changement profond pendant son absence, trouvant les choses de la moralité publique dans un état pire que celui où il les avait laissées, n’en revenait pas. Voilà donc, disait-il, voilà donc ce qu’on voit dans cette fameuse république : des enfants corrompus jusqu’aux moelles, des vieillards déshonorés par la prison. Celui-là avait une bien honnête figure. Il regardait Brodard et avait l’air d’en avoir pitié. L’ouvrier gardait un silence farouche, les yeux pleins de flammes, la face crispée, le front douloureux, comme battu par toutes les idées qui se heurtaient dans sa tête, il se tordait les mains en songeant à sa femme, à ses enfants qu’il n’avait pu embrasser. Êtes-vous malade ? lui demanda le vieux d’une voix pleine de compassion. Avez-vous soif ? J’ai sur moi une petite bouteille d’eau rougie, en voulez-vous ? Non, merci bien ! dit Brodard, je ne veux pas vous en priver. Ça ne me privera pas, prenez, prenez ! Les gardiens me connaissent, je puis en avoir d’autre. Buvez, ça vous fera du bien, vous avez la fièvre, peut-être ? Je ne sais pas si j’ai la fièvre, je suis hors de moi, je ne me connais plus. Pauvre homme ! Dans ce qui m’arrive, je ne sais pas si je dors ou si je veille. — Vous ne vous attendiez pas à être arrêté ? Oh ! non. C’est pas comme moi, j’ai dû me donner une peine considérable pour me faire pincer. Tiens ! cria l’un des gamins, elle est bonne celle-là. V’là le vieux qui nous la veut faire à l’oseille. Écoutez ça, vous autres. Quoi donc ? demanda le vieillard. — Eh ! mais ! l’histoire de votre arrestation, ma vielle branche, ça doit être curieux. |